Le viol n'a pas de sexe - ah bon ?

En Belgique, l'an dernier, quelque de 3700 viols ont été enregistrés, selon les statistiques du Ministère de l'Intérieur. Soit environ 10 par jour. Et ce n'est que la partie visible de l'icerbeg : « Le Moniteur de sécurité révèle qu’environ 90% des victimes de viols ne porte pas plainte à la police, pour diverses raisons. Ces faits ne figurent dès lors pas dans les statistiques criminelles policières  » (1). Trop souvent encore, les victimes sont culpabilisées : n'ont-elles pas « provoqué » l'agression ? Ou pris des risques inconsidérés en se retrouvant dehors à des moments et dans des lieux « dangereux » ? Serait-ce leur attitude, leur façon de s'habiller ? Se sont-elles « suffisamment » défendues ?

Aussi, quand la ministre de l'Egalité des chances, flanquée de ses collègues de la Santé et de l'Intérieur – trois femmes donc – annonce une campagne de sensibilisation pour inciter davantage de victimes à "briser le silence"; on ne peut que s'en réjouir.

... Du moins, tant qu'on n'a pas décortiqué la campagne elle-même, sur le site www.aideapresviol.be

Commençons par le clip censé inciter les victimes à porter plainte. Outre des idées fausses à metre en cause (Personne ne doit savoir... Mon mari a tous les droits... C'est ma faute...), on y découvre ce scoop stupéfiant : « Le viol n'a pas de sexe ».

Ah bon ?

On voit d'ailleurs, indifféremment, des femmes et des hommes comme victimes. De l'agresseur, pas un mot.


 Une brochure, réalisée par l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH) accompagne le clip. Et le texte enfonce le clou : « Beaucoup de filles, de garçons, de femmes et d’hommes sont confronté-e-s à la violence sexuelle sous différentes formes », lit-on en introduction. Puisqu'on vous le dit, le viol n'a pas de sexe. Plus loin, on découvre quand même quelques « légères » différences : « 9% des femmes et 3% des hommes ont été victimes d’attouchements ou d’abus sexuels avant l’âge de 18 ans. En outre, depuis leurs 18 ans, 6% des femmes et 1% des hommes ont été victimes de contacts ou de rapports sexuels forcés ou non souhaités ». Ce qui fait quand même trois fois plus de femmes pour les attouchements et six fois plus de rapports forcés. Pas suffisant, pour l'IEFH, pour conclure que si, le viol a bien un sexe (et on ne parle toujours pas de l'auteur).

 On sait (enfin, quand on veut savoir) que le danger pour les femmes se situe pricipalement dans la sphère privée. Voici comment c'est présenté : « L’auteur est souvent une personne connue de la victime. Seul un auteur adulte d’abus sexuels sur quatre est un inconnu. Chez les victimes masculines, ce pourcentage s’élève à 38%. Parmi les femmes, l’auteur est le partenaire dans 48% des cas, un membre de la famille dans 10%, une connaissance dans 13% et une personne issue de la sphère professionnelle dans 7% des cas. 15% des auteurs d’abus sexuels commis sur des mineurs sont des inconnus ».

 Ah voici les auteurs qui montrent le bout de l'oreille. Quel bel effort de « neutralisation » : l' « auteur adulte » n'a toujours pas de sexe, le « membre de la famille » non plus, pas plus que la « connaissance » ou la « personne issue de la sphère professionnelle ». A noter la façon dont les chiffres concernant les agresseurs connus de la victime sont éclatés, dissimulant ainsi cette réalité impressionnante : pour les femmes, l'agresseur le plus courant ne se cache pas derrière un pilier dans un parking désert, mais à près de 80% dans son entourage immédiat, dont à 60% dans le cadre de la famille.

 Lisons plus loin : « Pour ce qui est des violences sexuelles subies avant la majorité, l’auteur est généralement un membre masculin de la famille ou encore une connaissance masculine ». Faut-il en conclure qu'après la majorité, hommes et femmes agressent pareillement ? Cela paraît "évident" mais non, il faut le répéter : l'écrasante majorité des auteurs sont masculins, y compris pour ce qui concerne les viols de garçons et d'hommes.

 Le comble du ridicule est atteint lorsqu'on aborde les attentats à la pudeur, qui eux non plus, « n'ont pas de sexe » : « La plupart du temps, il s’agit d’actes à caractère sexuel comme l’attouchement des seins ». Ben oui, dans le métro, se faire tripoter les seins arrive autant aux hommes qu'aux femmes...

 Plus fort encore : l'IEFH publie aussi un cahier de « Lacunes et recommandations en matière d'approche de la violence sexuelle » : 28 pages sans que les termes « homme » ou « femme » n'apparaissent, si ce n'est dans l'intitulé de l'IEFH lui-même. Tant qu'à parler de « lacunes », en voilà une, et de taille. Quant aux « recommandations », la première devrait être d'ouvrir les yeux sur la réalité, car ce n'est pas en la niant qu'on peut espérer s'attaquer à une problématique. A ce compte-là, on peut imaginer des campagnes de prévention du cancer du sein sans aucune mention au mot « femme ». Après tout, les hommes peuvent aussi en être atteints, même si c'est beaucoup plus rare...

Imagine-t-on le Centre pour l'Egalité des Chances lancer une campagne contre le racisme commençant par : "Les Noirs, les Blancs, les musulmans, les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, peuvent être victimes d'agressions racistes" ? Ou encore "les homosexuels et les hétérosexuels sont parfois victimes de discrminations à cause de leur orientation sexuelle" ? Cible : manquée, efficacité : zéro.

 Ah, j'entends déjà les murmures : qu'y a-t-il de scandaleux à rappeler que les hommes aussi peuvent subir des attouchements ou des violences sexuelles, et qu'il leur est sans doute encore plus difficile d'en parler ? Le scandale, bien sûr, n'est pas là. Un encadré destiné aux hommes auraient pu être inséré, en évoquant leur situation particulière. Aussi bien au niveau des risques que des circonstances, des motivations de l'agresseur ou du ressenti de la victime. Un reportage sur les hommes victimes de viols de guerre au Congo l'exprimait d'une manière saisissante : « Le jour où ils ont fait de moi une femme ». Un homme est violé pour lui ôter sa masculinité, une femme, au contraire, pour bien lui faire comprendre qu'elle est femme, rien que femme, un objet, une chose, rien.

Toutes les femmes ne seront pas, heureusement, confrontées au viol au cours de leur vie ; mais une écrasante majorité d'entre elles ont été ou seront confrontées à la menace ou au moins à la possibilité d'un viol, et cela aura une influence sur leurs comportements (que ce soit une forme d'"adaptation" en évitant le risque ou au contraire de révolte). Un vécu étranger aux hommes, et ceal fait déjà une sacrée différence.

 Le viol est une des formes extrêmes de domination des hommes sur les femmes, et la menace de viol l'une des manières les plus efficaces de restreindre leur liberté. A qui recommande-t-on d'éviter certains lieux et certaines heures, de veiller à sa façon de s'habiller, de se comporter, de choisir ses fréquentations, au risque de se voir reprocher de "l'avoir cherché" ou d'avoir "provioqué" le viol ? Quels hommes se verraient reprocher d'avoir exhibé leurs mollets aussi musclés que poilus, leurs impressionnants biceps ou leur torse dénudé pour justifer une agression ?

Dans la présentation de la semaine de mobilisation, le viol est qualifié de "l’une des plus graves formes de violence à l’égard des femmes". Les victimes ont donc clairement un sexe. Dommage - et révoltant - que les différentes déclinaisons de la campagne 'laient complètement effacé.

 

(1) Présentation de la semaine de sensibilisation « Brisez le silence »


A noter qu'Amnesty lance aussi une campagne, basée sur une enquête dont les résultats sont, comme on dit dans les médias, "interpellants". A découvrir ici, ainsi que les recommandations, en notant qu'Amnesty ne parle pas des "gens" ou des "Belges" ou des "victimes" mais des "femmes" : http://www.amnesty.be/doc/agir-2099/nos-campagnes/le-viol-en-belgique

Mis à jour (Jeudi, 20 Février 2014 17:24)