Fred, Marie et les pervers

C'était une belle campagne de la Fédération Wallonie-Bruxelles, destinée à sensibiliser le grand public à la réalité des violences conjugales dans leur version moins connue, mais hélas très répandue : les violences psychologiques : « Fred et Marie » (2011), suivi de « Marie et Fred » (2012). Fred aime Marie, mais il la dénigre, il la contrôle, il l'humilie, l'isole de ses ami/e/s, la détruit ; Marie aime Fred, mais elle finira par le quitter.

En 2013, la nouvelle campagne de la FWB  change de ton : « Un couple sur huit vit l'enfer de la violence conjugale », avec ce slogan quelque peu ambigu : « La violence conjugale, il ne faut pas en avoir honte. Parlons-en ». Certes, on peut penser que la honte n'aide personne ; mais enfin, disons que l'auteur a plus de raisons d'avoir honte que la victime – mais que trop souvent, justement, comme dans les cas de violences sexuelles, c'est la victime qui est la plus gênée.

Il est déjà problématique que dans la campagne « Huit couples » toute question de genre soit évacuée : il y a deux personnes vivant ensemble, et l'une des deux maltraite l'autre. Curieusement, on trouve parmi les huit un couple de lesbiennes, mais pas de gays. La diversité a ses limites. Mais la volonté est tellement explicite de « dé-sexualiser » (ou de bi-sexualiser) ces violences que les termes désignant les comportements sont féminisés (« conjoint-e violent-e »), contrairement aux « professionnels » auxquels il est possible de faire appel et qui gardent leur « masculin universel » (1).

Evacués donc les rapports sociaux de sexe et toute idée de pouvoir inégal entre les hommes et les femmes. Il ne reste que des « couples » vivant non pas une forme de domination, mais un "cercle vicieux qu'il faut rompre".

Dans le même temps, la campagne « Fred et Marie » semble connaître une nouvelle jeunesse sur les réseaux sociaux : «Le spot qui dénonce les pervers narcissiques », peut-on lire comme présentation de la vidéo, devenue une illustration du harcèlement moral.

Et voilà les violences conjugales, phénomène social, transformées en un trouble de la personnalité, une maladie qui se passe de diagnostic médical, causée par... quoi, au fait ? Une enfance difficile ? Un gène déficient ? La pollution de l'air ? Ou encore, un effet secondaire méconnu du Viagra ? Une « maladie » qui peut frapper n'importe qui, homme ou femme, ou qui sait, peut-être même le chat...

Cette véritable disparition des femmes comme victimes – et plus encore des hommes comme auteurs – n'est d'ailleurs pas le fait unique de ces campagnes : on a pu les retrouver dans le malencontreux communiqué de presse de l'IEFH à l'occasion de la très confidentielle « Journée de l'homme ». J'en avais déjà fait le commentaire (1), en insistant, avec l'Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), sur la nécessité d'une analyse de genre pour donner plus d'efficacité aux législations, l'accueil des victimes et la prise en charge des auteurs,

Entendons-nous bien : il n'est pas question de nier l'existence d'hommes victimes de violences conjugales, ni leur difficulté à porter plainte ou la nécessité d'une prise en charge collective de cette problématique. On pourrait très bien imaginer une campagne qui s'adresse directement et spécifiquement à eux, en interrogeant sous un autre angle la construction de la masculinité. Mais il s'agit encore d'hommes et de femmes, de construction sociale, et non de "partenaires" neutres et interchangeables. En faisant disparaître les femmes, les campagnes actuelles tirent à côté de la cible. Au détriment de leur efficacité.

 

(1) Cet extrait est caricatural : "Vous décidez de reprendre votre vie en main ? Ne faites pas cela seul-e. Des professionnels peuvent vous aider."

(2) Voir, dans cette même rubrique, "La Journée internationale de l'Homme blanc hétérosexuel et valide"

Mis à jour (Vendredi, 29 Novembre 2013 17:49)