Fraude sociale : aux grands mots, les petites misères

En cette fin du mois d'août, la rentrée pointe déjà son grand nez et comme pour toute rentrée, on nous annonce de bonnes résolutions (qui ne sont jamais très loin des sales coups) : côté justice, rien de moins qu'une lutte impitoyable contre la pire des criminalités : entendez les « domiciliations fictives » destinées à obtenir une « majoration des allocations sociales » (selon les termes employés par la RTBF).

Une circulaire (provisoire) adressée au Collège des procureurs généraux met en avant cette priorité, prévoyant même un fonctionnaire par zone de police pour assurer le suivi des dossiers : haro sur la « fraude sociale », tir à vue sur les « domiciliés fictifs » et leurs « propriétaires complices » !

Voilà de bien grands mots pour de petites misères. Sans doute existe-t-il des fraudes sociales à grande échelle – les entreprises qui font travailler des ouvriers au noir, ou qui ne paient qu'une partie du salaire en clair, ou qui cherchent les contorsions les plus tordues pour échapper à l'impôt ou aux cotisations sociales, pour ne rien dire de cette autre plaie, la fraude fiscale. Mais la « fraude sociale » la plus courante, c'est celle de la petite débrouille, qui consiste à contourner la loi dans l'espoir d'échapper à la misère pour accéder à la pauvreté. Car il n'est pas question d'obtenir des « allocations majorées », prévues pour les personnes à charge, en majorité des enfants - et la fraude à l'"enfant fictif" n'est pas encore dans le collimateur ; non, il s'agit juste d'éviter des « allocations rabotées", trop maigres pour vivre décemment - ces allocations sont d'ailleurs souvent inférieures au seuil de pauvreté ! Et cela ne fera qu'empirer avec la nouvelle législation de dégressivité des allocations de chômage.

 

Ce n'est pas comme si, disons au hasard, Johnny Thys, patron de B-Post (1), qui n'aurait plus droit qu'à ses 300 000 euros annuels comme un vulgaire premier ministre, se domiciliait fictivement dans un bureau de poste fermé (par ses soins) pour continuer à toucher son million actuel...Le scandale, ce n'est pas que des gens essaient tant bien que mal de se débrouiller pour survivre, mais que des législations interdisent ou sanctionnent une solidarité qui pourrait donner un peu d'oxygène à des personnes qui risquent l'asphyxie, par exemple par la colocation. Plutôt qu'une "chasse à la fraude" avec ses humiliations et ses dérives, une seule solution, l'individualisation ! (2)

Dans le même temps, on apprend que l'ONEm demande des comptes aux employeurs dont les noms figurent trop souvent dans les justifications de recherche d'emploi présentées par des chômeurs lors des contrôles. Rien n'est prévu contre les employeurs qui ne se donnent même la peine d'envoyer un accusé de réception. Non : après les « propriétaires complices », voici les « employeurs complices », soupçonnés de dsitribuer des certificats de complaisance : les allocataires sociaux, on vous le dit, c'est une véritable mafia. Il est urgent de démanteler ces réseaux.

Or, s'il est probable qu'il existe effectivement des « abus », on gomme complètement le phénomène inverse, à savoir la sous-utilisation des allocations et des services sociaux. Un rapport français a montré que la moitié des personnes qui ont droit au RSA (revenu de solidarité active) ne le demandent pas (la moitié!) La plupart faute d'informations, mais d'autres aussi par crainte de démarches compliquées ou par refus de dépendre d'une aide sociale. D'où une « économie » de 5 milliards par an pour l'Etat français. Même s'il existe peu de données, on peut supposer qu'en Belgique la situation n'est pas tellement différente. Le non recours à des droits est évidemment difficile à chiffrer, mais par exemple, un article de « Questions santé » estime qu'en 2010, sur les 800 000 personnes qui avaient droit au statut Omnio, seules 300 000 y avaient recours.

Dans le même texte on peut lire que « le non-recours au revenu minimum est un problème majeur en Belgique, et les enjeux sont de taille : la lutte contre la pauvreté, l’égalité des citoyens dans l’accès et l’exercice de leurs droits et l’évaluation de l’application et de l’adéquation de la loi. Malgré le manque d’études et de statistiques, de nombreuses caractéristiques propres au non-recours aux prestations sociales ont déjà été mises en évidence, et certains obstacles identifiés ». Sont pointés : le manque d'information, la complexité du système, la difficulté pour des publics précaires d'identifier leur situation, la peur face à une bureaucratie hostile... A quand un/e fonctionnaire dans chaque commune pour aider les personnes à accéder, tout simplement, à leurs droits ?

 

(1) Pour mes ami/e/s de l'étranger : Johnny Thys, patron de la poste, gagne 1,1 millions d'euros par an. A la question de savoir s'il accepterait de travailler pour 290 000 euros, soit l'équivalent du salaire du premier ministre, il a répondu très clairement que non.

(2) Pour rappel, les statuts "isolé", "chef de ménage" et "cohabitant" n'ont pas toujours existé ; ils ont été introduits en 1980 par le ministre Dewulf.... un socialiste

Mis à jour (Dimanche, 25 Août 2013 12:42)