L'école, lieu d'émancipation

Autant prévenir tout de suite : je vais peut-être en énerver quelques-un/e/s et plus grave, me montrer injuste. Tant pis, ça me chatouille trop.

Ces derniers temps, j'entends et je lis souvent de grandes envolées sur le rôle émancipateur de l'école. En général, il s'agit de justifier l'interdiction du port de « signes convictionnels » ou de « couvre-chefs » ou encore de « robes longues » par les élèves, ou plus directement du foulard par les enseignantes et/ou les mères accompagnant des activités scolaires.

L'école, lieu d'émancipation... ? Je ne peux m'empêcher de retourner à mes propres souvenirs. L'école, ce fut pour moi un endroit où j'ai adoré apprendre – enfant solitaire, plutôt mal dans ma peau, je me raccrochais aux livres, à la connaissance – mais ce fut aussi un lieu d'humiliations que je n'ai pas oubliées.

Déjà à l'école primaire, les instits n'ont pas pu ne rien voir du harcèlement que j'ai subi tout au long de ma scolarité : pas un/e n'a bougé le petit doigt.

L'école fut aussi cet endroit d'apprentissage de la concurrence exacerbée, où « laisser copier » était sanctionné autant que « copier », mais la sanction ne suffisant pas, il fallait une dénonciation publique, un prix retiré devant tout le monde, et pan, ça va t'apprendre la solidarité (car moi je l'ai vécu comme une forme de solidarité, même si c'était maladroit et contre les règles, certes).

L'école fut ce lieu où ma prof de latin, en mai-juin 1968, sans que jamais quiconque ne l'arrête, venait nous bourrer le crâne à chaque leçon avec les « horreurs » de la révolte étudiante à Paris, en faisant circuler les photos les plus trash de la presse de droite (le rapport avec le latin était assez lointain).

L'école fut pour moi aussi ce lieu d' « encouragement » à la créativité, où on m'interdisait d'écrire mes dissertations en vers (je le faisais quand même mais les écrivant sous forme de texte suivi, j'arrivais à tromper l'enseignante...) et où une prof se foutait ouvertement de ma gueule, une des rares fois où je ne connaissais pas une réponse à une question, en me disant devant toute la classe que je ferais mieux d'étudier mes leçons que d'écrire des pièces d'amour en alexandrins – car oui, à 14 ans, j'écrivais des pièces d'amour en alexandrins, comme Racine, ou presque ! La suite de ma vie a démontré que non, je n'aurais pas mieux fait, parce que mes leçons, je les ai oubliées depuis longtemps, alors que la passion d'écrire m'est restée, même si ce n'est plus en alexandrins.

Alors bien sûr, c'était il y a un demi-siècle, le monde a changé, l'école a changé ; mais enfin je constate qu'on commence à peine à prendre au sérieux les problèmes de harcèlement (surtout d'ailleurs parce qu'internet en a multiplié la nocivité, mais je vous assure qu'il était parfaitement possible de pourrir la vie d'un enfant bien avant Facebook et Instagram) ; je constate aussi que l'école, telle qu'elle est organisée encore aujourd'hui chez nous, ne parvient pas à réduire les inégalités sociales, bien au contraire, elle a tendance à les figer, sinon les creuser encore. Et je ne vous parle pas du sexisme, très peu pris en compte dans les classes et les cours de récréation, comme si la « mixité » décrétée résolvait miraculeusement tous les problèmes.

Alors bien sûr, l'école peut être un formidable outil de libération, ceraines le sont, et certain/e/s enseignants font un boulot formidable dans ce sens. Mais enfin, qu'on me permette, quand j'entends une de ces grandes envolées sur la mission civilisa...euh émancipatrice de l'école, qui ne serait menacée que par quelques foulards trop « ostensibles », de ricaner doucement dans mon coin. Comme ricanaient mes profs devant mes petites rébellions qui restent le meilleur de ce que l'école n'a, heureusement, jamais réussi à me désapprendre.

Mis à jour (Jeudi, 20 Octobre 2016 11:23)

 

"Citoyennes, féministes et musulmanes" : saisir la main tendue

On parle si souvent d'elles, à leur place, alors qu'elles-même ont si rarement la parole : ce texte paru dans la Libre,dans la rubrique Opinions (1), est d'autant plus précieux. Il nous interpelle, j'y réponds.

Vous dites : « nous voulons vous donner envie de nous rencontrer ». Vous dites : « nous voulons vraiment faire société ensemble, avec nos ressemblances et nos différences ». Vous dites : nous sommes féministes, contre les injustices dont les femmes sont toujours victimes, soyons des alliées !

Mais vous dites aussi : cessez de « considérer celles d’entre nous qui portent le foulard comme, au choix, des mineures sous influence, des idiotes utiles ou des militantes perfides d’un dogme archaïque ». Et voilà cet appel intitulé « Citoyennes, féministes et musulmanes » publié par la Libre sous l'intitulé « Voilées et féministes » (1). De quoi, immédiatement, agiter le chiffon rouge sous les yeux du taureau de la laïcité excluante !

L'essentiel, vous le dites dans leur texte : les préjugés, les discriminations, l'injustice de mesures qui, sous prétexte de les « émanciper », contribuent à enfermer les filles et les femmes à la maison ou dans leur « communauté ». Le sommet de l'absurde étant peut-être atteint en interdisant à certaines d'entre elles, toujours au nom de leur émancipation, de suivre des cours si bien appelés de « promotion sociale » !

Les réactions n'ont pas tardé (dans la Libre aussi bien que sous la plume de certaines défenseuses d'une laïcité crispée) (2), notamment sur le thème : on ne peut pas être voilée et féministe. Donc, votre main tendue, vous pouvez vous la garder. On ne peut discuter que cheveux au vent (un crâne rasé a peut-être aussi ses chances). Vous ne le savez peut-être pas, mais vous êtes des réactionnaires portant haut, volontairement ou par naïveté, la bannière de régimes sanglants (vous savez, ceux que nos pays si fiers de leurs « valeurs » soutiennent si bien avec leurs livraisons d'armes et leurs accords commerciaux, mais ça n'a aucun rapport, paraît-il).

A celles qui vous rejettent ainsi, je n'ai rien à répondre : elles ne s'adressent pas à moi. Je ne suis ni musulmane, ni porteuse d'un quelconque « signe convictionnel » (quoique j'aimerais bien que mon féminisme soit encore plus « ostentatoire » qu'il ne l'est déjà), je n'ai pas à avoir un avis sur le foulard, le besoin de le mettre ou de l'ôter, pas plus que sur la façon de le nouer, ou le sens que chacune d'entre vous lui donne. J'ai juste un avis sur le contrôle du corps des femmes, leur apparence, leur façon de se vêtir, d'être « trop » ou « trop peu » couvertes, toujours jugées « provocantes », qu'on voie le haut de leurs cuisses ou qu'elles cachent leurs oreilles. Et cet avis est simple : ce contrôle fait partie intégrante du maintien des femmes dans une position d'infériorité et quand en plus, il leur interdit d'étudier ou d'avoir un emploi, il est l'un des freins principaux à cette émancipation dont on parle tant tout en les empêchant d'y accéder. Et qu'on ne me dise pas : il suffit qu'elles enlèvent leur voile et tout ira bien ! Exiger qu'elles ôtent le foulard ou leur imposer de le mettre ne sont que deux facettes d'un même refus de leur liberté.

Je n'ai pas non plus à vous attribuer, ou non, un brevet de féminisme. Puisque vous tendez la main, je la prends volontiers. Nous nous battrons ensemble contre les inégalités sociales, contre les violences, contre le poids des tâches de ménage et de soins, si mal partagées... Peut-être y aura-t-il des domaines où nous ne serons pas d'accord – c'est aussi le cas avec d'autres féministes avec lesquelles je peux avoir des divergences, ce qui n'empêche nullement des luttes communes. Se rencontrer, être des alliées, avec nos ressemblances et nos différences ? Chiche ? Chiche !

 

(1) A noter que suite aux protestations, la Libre a rétabli le titre d'origine dans sa version électronique

(2) A vous de chercher : aucune envie de leur faire de la publicité

Mis à jour (Mardi, 20 Septembre 2016 10:34)

 

Après le massacre d'Orlando

On a beau se dire solidaire : de toutes les minorités, de toutes les victimes d'injustices, de discriminations, de massacres...

On a beau militer pour des causes qui ne sont pas toujours les siennes, par choix, par conviction, on a beau y mettre tout son temps et toute son énergie...

On a beau aussi refuser les identités assignées, les définitions imposées de l'extérieur, la réduction de soi à une origine, un genre, une orientation sexuelle, toutes réalités que l'on n'a pas choisies...

Il n'empêche : une atteinte à l'une de ces « catégories » auxquelles on appartient, de fait, qu'on le veuille ou non, touche quelque chose de plus profond que tous les autres massacres, ou toutes ces injustices quotidiennes plus ou moins dramatiques qui peuvent susciter indignation et révolte. Soudain, on est atteinte dans ses parties vitales.

Pour moi, c'est ainsi quand des personnes d'origine juive sont tuées parce que juives (qu'elles soient croyantes ou non, et quelle que soit leur implication dans la politique criminelle israélienne), des femmes parce que femmes ou encore, comme en cette horrible nuit à Orlando, des homosexuel/le/s en tant qu'homosexuel/le/s.

Personnellement je déteste tout ce qui est « identité », surtout au singulier. Je suis sans religion et pourtant, la Shoah et l'antisémitisme persistant m'obligent à rester « juive ». Je me sens bien dans l'idée des « genres fluides », mais le sexisme, les discriminations, les violences envers les femmes m'empêchent de revendiquer toute « fluidité ». Je voudrais tellement pouvoir dire, simplement, que j'ai vécu des amours avec des personnes, qui – ô coïncidence – étaient des femmes, l'homophobie toujours vivace, et la minorisation des femmes au sein même de la « communauté » LGBT+, m'obligent en quelque sorte à me revendiquer comme lesbienne.

Je sens bien que pour moi, la tuerie d'Orlando n'est pas un massacre parmi d'autres, nombreux hélas, comme le Bataclan à Paris, l'île d'Utoya en Norvège ou même Maelbeek à Bruxelles, un endroit si proche de moi. Cela m'atteint bien plus profondément. Ne serait-ce que parce que j'y retrouve, poussée à son paroxysme, une haine ou même de simples préjugés qui ont pu me viser moi ou ceux/celles que je dois bien appeler « les mien/ne/s ». Que cela fait remonter des souvenirs, personnels ou non : depuis ces étudiantes (parfaitement libre-exaministes et futures psys!) qui refusaient de s'asseoir à côté de moi, comme si j'allais leur sauter dessus en plein cours, ou comme si j'étais contagieuse ; la mère d'une condisciple à qui j'avais fait mon "coming out" m'interdisant d'approcher sa fille à moins de trois mètres (ce qui me fait rire aujourd'hui, mais pas à l'époque...) ; ces personnes qui interprètent une difficulté avec moi comme un problème avec « les lesbiennes »; ou moins personnel, jusqu'à cette autorité provinciale tout à fait socialiste qui vire une prof pour avoir donné le « mauvais exemple » en parlant de son homosexualité dans une émission télévisée, ou ce couple de jeunes femmes violées pour leur apprendre, sans doute, à apprécier les charmes de l'hétérosexualité. Toutes ces petites humiliations, toutes ces grandes blessures, voilà ce que la tuerie d'Orlando réveille aujourd'hui.

Et ceci reste, bien entendu, un témoignage tout à fait personnel.

 

 

*                         *

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On n'est pas obligé/e/s d' « aimer » les homosexuel/le/s. Il suffit de voir les personnes indépendamment de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, il suffit de ne pas les discriminer, ou au moins de les laisser vivre.

On n'est pas obligé/e/s d' « aimer » les musulman/e/s. Il suffit de voir les personnes indépendamment de leur croyance ou de leur pratisques religieuse, il suffit de ne pas les discriminer, ou au moins de les laisser vivre.

On n'est pas obligé/e/s d' « aimer » les juif/ve/s, les migrants, les Roms, les Américains, les Belges, les jeunes, les vieux/vieilles, les cyclistes, ni toute autre catégorie, persécutée ou non. Toutes les catégories et les généralisations sont absurdes et parfois mortelles.

Après le massacre d'Orlando, je n'ai vraiment aucune envie de parler d'Amour universel, juste du droit de vivre en paix, de refuser la violence, que ce soit à coups de fusil ou à coups de mots. Je pense à toutes ces victimes mais aussi à toutes celles, tous ceux qui risquent de payer le prix fort sans y être pour rien. Alors, faute de nous aimer tou/te/s, contentons-nous de ne pas nous haïr.


PS : Et si je parle surtout des femmes, je n'oublie pas pour autant l'horrible meurtre d'Ihsane Jarfi, qui montre à lui seul l'absurdité de réduire l'homophobie aux religions, et à l'une d'elles en particulier : dans ce cas, c'est la victime qui était musulmane.

 

 

 

Orlando, nuit du 11 au 1 juin 2016 : http://www.liberation.fr/planete/2016/06/12/massacre-dans-un-club-gay-a-orlando-en-floride_1459012

Mis à jour (Lundi, 13 Juin 2016 10:04)

 

"Soyez discrets !"

 

La vague d'islamophobie qui déferle actuellement sur les plages françaises (mais qui n'est que l'écume d'une marée bien plus imposante) est parfois comparée à la situation des années 30. On voit par exemple sur Facebook, à côté de témoignages sur la verbalisation de musulmanes "trop couvertes", des photos de panneaux interdisant la baignade aux juifs.

Ce parallèle est compréhensible par certains côtés, mais boîteux par d'autres : les juifs n'étaient pas incités à être « discrets », mais à disparaître. Sacrée « nuance ».

N'empêche, cette « discrétion » que l'on semble exiger aujourd'hui des musulmans (et surtout des musulmanes) me paraît d'une grande violence. Le délire autour du burkini, du foulard, mais aussi le discours sur « la religion, une affaire privée » vont dans ce sens. Pressenti pour diriger la future Fondation de l'islam de France, Jean-Pierre Chevènement – ce choix est à lui seul un signe de volonté d'invisibilisation des musulman/e/s – déclare, avant même sa nomination : « Le conseil que je donne dans cette période difficile […] est celui de discrétion »

J'oserais donc un autre parallèle, qui ne plaira sans doute pas à tout le monde : la situation des homosexuel/le/s.


Mis à jour (Jeudi, 25 Août 2016 11:22)

 

Affaire Baupin, scandale et symptôme

« ... Alors il est venu, il m'a plaquée contre le mur en me tenant par la poitrine, et a cherché à m'embrasser. Je l'ai repoussé violemment ». 

Non, cela ne se passe pas une nuit de réveillon devant la gare de Cologne. Non, « il » n'a pas une tête ni un nom « exotiques ». La scène se passe en 2011, au cours d'une pause lors d'une réunion d'Europe-Ecologie Les Verts (EELV). L'accusatrice s'appelle Sandrine Rousseau et lui, c'est Denis Baupin, vice-président de l'Assemblée nationale française, poste dont il a démissionné tout en contestant les accusations de plusieurs élues et collaboratrices des Verts.

Le 8 mai 2016, Mediapart et France Inter font éclater le scandale. Les langues se délient : une autre élue, Isabelle Attard, dénonce des « sms salaces », un harcèlement quasi quotidien qui a duré plus d'un an. Une troisième, Annie Lahmer, raconte des faits déjà vieux de plus de 15 ans : « Ce garçon me harcelait. (...) Un soir, le siège (du parti) était vide, j'étais seule avec Denis. Il s'est mis à me courir après autour du bureau. C'était loufoque comme scène. (...) Le lendemain, il a pointé son index sur moi en me disant 'Toi, tu n'auras jamais de poste au sein du parti' ».

Difficile de croire que la direction d'EELV n'était pas au courant. Sandrine Rousseau témoigne d'ailleurs : « J'en ai parlé à deux membres de la direction du parti. L'un m'a dit : 'Ah il a recommencé'. L'autre : 'ce sont des choses qui arrivent très souvent' ». 

Dès 2004, une chercheuse avait eu connaissance des accusations et en 2013, Baupin avait été surnommé le « DSK des Verts »

Pourtant, jusqu'à ce 8 mai, rien n'a été fait pour écarter Baupin. Il aurait juste eu des « remarques », ce qui ne l'a pas empêché d'obtenir un poste prestigieux.

"Bas les pattes !"

Il ne faut pas croire que ce type de situation soit spécifique aux Verts, le parti par ailleurs le plus ouvert aux questions de genre (c'est dire ce qu'il en est dans les autres). Il y a un an, 40 femmes journalistes politiques publiaient une tribune dans Libération, intitulée « Bas les pattes », pour dénoncer le sexisme d'hommes politiques de tous bords.

Et dès ce 8 mai, on a pu voir ces hommes qui ont tout compris. Ainsi le député (Républicains) Pierre Lellouche, interrogé par un journaliste de RTL, lâche : « Je commente l’international, les choses sérieuses, pas les histoires de bonnes femmes ».

Le même soir, l'élue républicaine Aurore Bergé est accueillie par un collègue par un « Quand je te vois, j'ai envie de te faire une Baupin ». Elle est trop sidérée pour répondre, mais témoigne quand même sur son compte Twitter. Parmi les réactions, une autre jeune femme raconte comment un de ses professeurs de faculté, par ailleurs un élu, lui a proposé une relation sexuelle tarifée. « Aujourd'hui, il publie des statuts contre le harcèlement sexuel (dans le cadre de l'affaire Baupin) parce que c'est le moment de se la jouer féministe. Si vous me cherchez, je suis allée vomir », conclut-elle.

« Vomir », c'est apparemment la réaction des victimes à ceux qui « se la jouent féministes ». Ce fut aussi celle de Elen Debost, adjointe au maire du Mans, et autre cible de Baupin, en découvrant celui-ci sur une affiche, rouge aux lèvres, au côté d'autres élus, à l'occasion du 8 mars 2016, en combattant contre les "violences faites aux femmes". C'était l'hypocrisie de trop qui a déclenché les témoignages, même si la plupart des faits dénoncés sont désormais prescrits.

Ne pas nuire à la cause

Mais justement, pourquoi ces femmes n'ont-elles pas porté plainte plus tôt ? Pourquoi ce silence ? Certains n'ont pas manqué de poser la question, presque comme une accusation, suggérant des « exagérations » voire des règlements de compte politiques... Pourtant la réponse est simple : pour les mêmes raisons qu font que les agressions sexuelles, y compris le viol, sont les crimes et délits le moins souvent rapportés. Parce que la victime a peur de ne pas être crue. Parce que souvent, c'est elle qui a honte. Par crainte de représailles. Ou dans les milieux militants, pour « ne pas nuire à la cause » (ah, combien je l'ai entendu, cet argument-là !)

Voilà donc où on est dans la France d'aujourd'hui, celle-là même qui brandit l'égalité entre hommes et femmes comme une de ses valeurs fondamentales. Mais bien sûr, il n'y a pas que la France.

Ah oui tiens, justement, le même jour, on voyait le futur président des Philippines, Rodrigo Duterte, à propos du viol d'une missionnaire australienne : « Elle était très belle, en tant que maire, j'aurais dû avoir le droit de passer en premier ».

Et oui tiens, vous vous souvenez peut-être de ce député libéral wallon, Gilles Mouyard, qui avait envoyé en 2012 à la présidente de son Parlement, Emiy Hoyos, ce sms plein de délicatesse : « C'est vrai que tu as un beau cul » (et elle l'avait vertement remballé à l'époque), ce qui avait encore bien fait rire les mecs dans l'émission « satirique » (ou satyrique »?) « On n'est pas rentré ». L'information étant relayée par la très sérieuse Libre Belgique dans la rubrique « Insolite »...

Une culture machiste : la nôtre

Alors certains vont désigner des « brebis galeuses », d'autres dénonceront une « caste » (sous-entendu : le monde politique), mais encore une fois, il y a un déni sur le fait que ce genre de comportements n'est ni la caractéristique de quelques individus pervers, ni d'une « culture » (bien sûr, celle des « autres »), ni d'un pays : c'est une des expressions abjectes d'un rapport de pouvoir inégalitaire entre hommes et femmes.

L'affaire Baupin est un scandale, mais c'est surtout un symptôme. Est-ce qu'un jour, on va enfin comprendre ? Cela ne se passe pas seulement devant la gare de Cologne, pas seulement en politique, pas seulement dans le sport, pas seulement au bureau, pas seulement dans la rue... cela se passe partout.

Dans un édito intitulé « Promesse », Libération prend parti pour que le silence soit brisé. Très bien. Mais et juste en dessous de l'article, dans « vous aimerez aussi », on est orienté/e vers des articles bien sexistes : « Les 25 politiciennes les plus belles du monde » et « les 25 briseuses de couple les plus célèbres ». Le problème, ce n'est pas un individu, ni même une "caste", c'est une culture machiste. La nôtre.

Hommage donc à celles qui ont osé briser le silence Alors, même s'il y a certainement des hommes que ces comportements débectent – à côté d'autres qui sont, comme on l'a vu, de faux amis - je continuerai personnellement à répercuter plutôt la parole des femmes, le cri des femmes. Parce que c'est leur colère qu'il faut d'abord entendre. Parce que la cause que j'ai envie de défendre, là, c'est la cause des femmes.

Mis à jour (Mardi, 10 Mai 2016 10:43)

 
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