Même pas peur !

 

En cette fin juin, le journal « Même pas peur ! » sortira son deuxième numéro.

Un nouveau titre dans la presse en Belgique francophone ? Il fallait oser, « Même pas peur », en effet ! Voilà qui méritait au moins ma curiosté (d'autant que je connais plusieurs des initiateurs). Le thème aussi avait tout pour m'attirer, moi qui en matière de marxisme, me situe plutôt du côté du gendre Lafargue et son « Droit à la Paresse » que de celui du Manifeste du Parti Communiste de beau-papa Karl : « Pour en finir avec le travail ».

Certes, d'autres aspects m'enthousiasmaient moins : d'abord, en général, une certaine méfiance vis-à-vis d'une presse satirique qui fait rarement la différence entre se moquer des puissants et ridiculiser celle/celui qui est déjà à terre ; ensuite, dans ce cas précis ,une rédaction masculine en proportion écrasante (1) et une couverture qui me donne envie de tourner les talons : on y voit en effet des usines fumantes derrière un portillon annonçant « Le travail rend libre », traduction du « Arbeit macht frei » que l'on associe immédiatament à Auschwitz. J'ai beau penser le pire du travail tel qu'il est organisé dans nos sociétés, et pire encore de ceux qui le détruisent pour s'en mettre plein le compte en banque, Mittal n'est PAS Hitler ni Arcelor un camp de tavail (pour ne rien dire d'un camp d'extermination). Pour enfoncer le clou, on retrouve dès l'édito l'allusion à « la nouvelle étoile de David sure l'on colle sur le manteau du sans emploi », des fois qu'on n'aurait pas compris le message (2).

Mais bon, comme on dit à la RTBF, « restons curieux/se ». Et aussi, comme d'habitude... totalement subjective (même pas peur !).

Mis à jour (Jeudi, 18 Juin 2015 09:37)

 

Les crimes des autres

Après avoir écouté et lu les un/e/s et les autres, je reste sur mon impression première : « l'affaire Mahinur Ozdemir » me laisse perplexe, sinon mal à l'aise. 

D'un côté, la « frilosité » (pour le dire gentiment) de certain/e/s élu/e/s d'origine turque à reconnaître le génocide des Arméniens relève d'un réflexe nationaliste étroit (pléonasme). Outre mes convictions politiques, mon histoire personnelle de fille de déportés, dont la plus grande partie de la famille a été assassinée par les nazis, me pousse à prendre toute forme de négationnisme, de la plus grossière à la plus « subtile », comme une blessure personnelle. Comme l'a si bien exprimé Henri Goldman sur Facebook, « Je ne peux pas considérer la reconnaissance du pire des crimes comme une petite affaire secondaire. Peut-être est-ce une faiblesse, mais quand Charles Aznavour chante "Moi, je suis de ce peuple qui dort sans sépulture", c'est de moi et des miens qu'il parle aussi ».

D'un autre côté, je reste tout de même assez sidérée par les proportions que prend cette affaire... sachant que la Belgique elle-même n'a pas officiellement reconnu le « génocide » comme tel, à commencer par son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, qui a déclaré qu'il ne lui « semble pas opportun que d’autres instances, législatives ou exécutives, se substituent au pouvoir judiciaire pour reconnaître un génocide » (1). Aux dernières nouvelles, il n'a toujours pas été exclu du MR. Et que dire du lamentable épisode de la « minute de silence à la carte » au Parlement bruxellois...

Aujourd'hui, la Belgique découvre soudain la nécessité de se hâter (mais lentement) vers une reconnaissance officielle, en donnant la désagréable impression qu'il s'agit moins de rendre justice aux Arméniens que d'obliger nos compatriotes d'origine turque à faire un choix entre « nos » valeurs et celles supposées de leur "pays d'origine" (2).


Mis à jour (Jeudi, 04 Juin 2015 08:17)

 

La grève n'est pas un animal triste

Donc, pour le patronat, « la population en a marre des mouvements de grève » (1). Pour les syndicats, il s'agit d'une arme précieuse dans la préservation des « acquis » (et autrefois, ne l'oublions pas, dans l'obtention de nouveaux « conquis »). Mais il s'agirait toujours d'un « dernier recours », d'un signe d'« échec », quand les autres moyens (comme la concertation) n'ont pas fonctionné ; alors il faut « malheureusement » en passer par là. Non mais, vous imaginez que des travailleur/se/s se croisent les bras par plaisir... ?

Certes, une grève est le signe d'un dysfonctionnement et signifie une perte de revenus. Mais je voudrais prendre le contrepied de ce « malheureusement ». Pour avoir couvert des grèves (du temps de l'hebdomadaire POUR), pour en avoir organisé (du temps de la Fnac), je pense au contraire que ce sont de beaux moments de solidarité, de respiration dans une vie de stress, de réflexion dans un boulot où on fonce tout droit, de fête aussi parfois. A condition, bien sûr, de ne pas la limiter au fait de « rester chez soi ». Et je me souviens de ce beau titre d'un des premiers Cahiers du Grif : « Les femmes font la grève, les femmes font la fête » (2)....

A l'époque de POUR donc, au milieu des années 1970, j'ai eu l'occasion de couvrir des grèves avec occupation dans des usines menacées de fermeture. Des grèves de femmes, souvent, pour un journal qui ne se contentait pas d'un rapide reportage sur place mais envoyait ses journalistes partager la vie des grévistes. Je me souviens de ces nuits de discussion, où les ouvrières parlaient longuement de leur vie au travail avec ses peines, ses humiliations mais aussi ses fiertés, et puis de leur vie en dehors, de ces tâches ménagères et familiales qui pesaient si lourdement sur leur temps et leur bien-être, des maris qui ne soutenaient pas toujours leur mouvement, parce qu'une femme dehors la nuit, ça ne se fait pas, et puis qui va s'occuper des enfants... Je me souviens même d'une assemblée générale où nous étions présentes, nous des femmes du journal, à la demande des ouvrières qui nous avaient prêté des tabliers roses pour nous fondre dans la masse, et pour assister aux discours horriblement paternalistes et même méprisants des permanents syndicaux – je me souviens de ce dialogue à voix basse avec une des leaders du mouvement: « Si on était dans une usine d'hommes, ces permanents auraient déjà été jetés dans le canal. - Oui mais justement, si vous étiez des hommes, ils ne vous parleraient pas sur ce ton ». Pendant ce temps, nos camarades masculins, après avoir préparé le petit déjeuner, nettoyaient les locaux où nous avions passé la nuit, à la grande surprise des ouvrières (et des camarades masculins eux-mêmes). Cela reste l'un des grands souvenirs de mes années de journaliste.

Bien plus tard, à la Fnac, nous avons organisé des arrêts de travail avec barbecue – si bien que finalement, l'expression « aller chercher des merguez » était devenue synonyme de grève. Un jour, nous sommes mêmes parti/e/s en car jusque Paris, pour envahir avec drapeaux et guitare le magasin aux Champs-Elysées, devant des clients qui nous applaudissaient, croyant à une animation, tandis que nous chantions « Bella Ciao » ou une version adaptée du « Déserteur » : « Messieurs les actionnaires / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps »...

Ce fut un combat pour le maintien de conditions de travail et de salaire chèrement acquises, un combat perdu, mais qui reste un grand moment de fierté de mes années de déléguée.

Cette semaine donc, les syndicats vont décider de nouvelles actions, de rassemblements, de manifs... peut-être même de grèves. Je nous les souhaite joyeuses, créatives, conviviales. Comme on disait en mai 68 : on s'arrête, on réfléchit... et ce n'est pas triste !

 

(1) Déclaration de Pieter Timmermans, le Soir, 27 avril 2015

(2) On peut relire le numéro intégralement ici

Mis à jour (Lundi, 27 Avril 2015 11:32)

 

POUR : l'autre résurrection de J.C.

L'information courait depuis quelque temps sur les réseaux sociaux, mais voilà, ça y est : dès ce 30 mai, on verra apparaître dans les librairies et le réseau associatif un drôle de revenant, le journal POUR, disparu après un incendie de ses locaux orchestré par l'extrême-droite en 1981.

POUR, même graphisme, même sous-titre (« pour écrire la liberté »), fièrement baptisé « n°1 », ce qui indique à la fois qu'il y en aura d'autres... et que la filiation avec le passé n'est pas évidente (mais ça, c'est sans doute inconscient).

Et c'est le moins que l'on puisse dire. POUR des années 1970 était un hebdo de la « nouvelle gauche », basé sur un journalisme d'intervention, de participation, qui faisait confiance aux « intelligences citoyennes » (comme on dit aujourd'hui), qui voulait offrir une vitrine aux luttes plutôt qu'à la parole des experts. On peut regretter des naïvetés, des dérives – la sous-estimation des crimes commis par les Khmers rouges me paraît rétrospectivement l'une des pires – on peut penser que les querelles internes, ou la tentative de se transformer en organisation politique, ont asséné au journal des coups aussi mortels que l'incendie. Il n'empêche, ce fut une belle aventure, sociale, culturelle et humaine. Ce fut aussi ma vie durant six ans.

 

Mis à jour (Vendredi, 29 Mai 2015 16:35)

 

Affaire classée

J'imagine...

J'imagine, tu es une petite femme insignifiante, en tout cas à côté du Grand Homme que tu croises un soir dans une émission télé. Vous sympathisez, vous partez ensemble, et ce qui se passe après, on ne le saura jamais.

Selon lui, tu étais d'accord. Pour certains hommes (et en partculier des hommes de pouvoir), une femme qui ne se défend pas jusqu'à la mort est plus ou moins « consentante ». En tout cas toi, tu as rongé ton frein pendant trois ans, tu as quitté ton boulot, tu as essayé de te reconstruire une vie, avant de décider de porter plainte pour viol.

Tant que la justice n'a pas tranché, c'est la parole de l'un contre la parole de l'autre. Moi, j'ai tendance à te croire. Par solidarité féminine, peut-être, mais aussi pour des raisons plus réfléchies. Parce que je sais à quel point il est difficile pour une femme de faire cette démarche (en France, selon les estimations, seul un viol sur dix fait l'objet d'une plainte). Parce que c'est pénible, que la victime ne reçoit pas toujours l'accueil et le soutien dont elle a besoin, parce qu'un procès l'oblige à revivre l'agression. Et je me dis aussi que si toi, petite femme insignifiante, avais voulu simplement te venger du Grand Homme, pour l'une ou l'autre raison, tu te serais précipitée pour claironner ton histoire dans les médias, surtout certains qui n'attendent pas mieux qu'un « scandale sexuel » pour en faire leurs choux gras.

Mais pas du tout. L'affaire est restée secrète jusqu'à ce 2 avril où la justice a décidé que ton affaire ne serait pas classée, comme le sont tant d'autres, qu'elle méritait un renvoi du Grand Homme en correctionnelle. Le procès devait avoir lieu dans quelques mois. Je sais aussi combien c'est important, pour la victime, que le viol soit reconnu comme tel, quelle que soit la hauteur de la sanction.

Mais il n'y aura pas de procès. Dès l'annonce dans les médias, le Grand Homme n'a pas supporté la pression et est allé se jeter dans le canal. En plus de ce que tu as vécu, en plus de l'impossibilité de le voir reconnaître par la justice, tu vas devoir porter sa mort.

Et sa mort, voilà ce qui fait l'actualité. Ses amis sont bouleversés – évidemment, mais que ne l'ont-ils été par cette information stupéfiante, enfin on l'espère : le Grand Homme accusé de viol ? La Chambre respecte une minute de silence, les hommages pleuvent – il fut ministre, député, président de parti, et aucune mort ne peut être considérée comme sans importance, mais tout de même : une petite pensée pour la victime, toi la petite femme insignifiante à qui jamais justice ne sera rendue ? (1). Rendue ou non, d'ailleurs – dans les déjà rares affaires de viol, il n'y a que 4% de condamnations. Ce n'est pas qu'il y ait tant d' « accusations fausses » (ce que déjà suggèrent certains sur les réseaux sociaux), c'est que les preuves sont très difficiles à apporter, surtout si la plainte n'est pas déposée immédiatement.

On parle beaucoup de l' « épreuve » trop dure à supporter. Son épreuve à lui. Et ils y pensent, à ton épreuve à toi... ?

On dit que ces derniers temps, pour des tas de raisons personnelles, il n'allait pas bien. Et toi, est-ce que tu vas bien ? Ton avocat a juste indiqué que tu regrettais cette issue, en rappelant que « ces faits sont très pénibles également pour ma cliente ».

Tu voulais juste un moment de vérité, une vérité judiciaire qui t'aurait peut-être déçue. Tu voulais juste, peut-être, que quelqu'un reconnaisse, officiellement, le mal qui t'a été fait. Au risque de ne pas être reconnue. Et toi, petite femme insignifiante, tu as pris ce risque. Et lui, le Grand Homme, a choisi de ne pas le prendre.

C'est de lui qu'on parlera dans les jours qui viennent, de ses côtés brillants et des autres, plus sombres, de ses succès et de sa « chute ». La chute d'Icare, une image déjà bien utilisée – mais ce n'est pas toi qui lui as brûlé les ailes. On évoquera, mais de moins en moins, on évoque déjà, une «affaire de moeurs ». Expression bien pudique qui te fait complètement disparaître.

Puisses-tu te reconstruire, petite femme insignifiante, cachée par l'ombre du Grand Homme. Nous, on pense bien fort à toi – et j'ose écrire « nous » car j'espère bien ne pas être la seule.

 

(1) Ce n'est certes pas comparable (la présomption d'innocence existe toujours dans le cas du Grand Homme), mais cela me fait tout de même penser à l'histoire de cet homme politique français, Jean-Marie Demange, qui a tué sa compagne sur le point de le quitter, avant de se donner la mort. L'Assemblée Nationale a respecté une minute de silence. En sa mémoire à lui.

Mis à jour (Vendredi, 03 Avril 2015 10:13)

 
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