Mères porteuses, contes de fées et rapports de pouvoir

Cet été, lors du colloque féministe de Montréal, plusieurs ateliers se sont intéressés à la GPA, la “gestation pour autrui”, autrement dit les mères porteuses – ou “gestatrices” comme certain/e/s préfèrent les appeler, pour effacer le terme - et la réalité? - de “mères”. Au Québec comme en Belgique, des débats ont lieu autour d'un possible encadrement législatif de cette pratique, avec l'objectif affirmé de lutter contre les “GPA sauvages” et commerciales aux Etats-Unis, dont la proximité rend la situation encore plus problématique que chez nous.

Nous avons donc eu droit à plusieurs études, analyses, prises de position, dont j'essaierai de rendre compte ici avec autant d'”objectivité” que possible, sachant que je suis, personnellement, opposée à toute “normalisation” d'une pratique qui fait du corps des femmes un simple instrument de reproduction, dans un double rapport de domination, de genre et de classe.

 

Don et contre-don”

Pour commencer donc, deux études présentées par une prof et un de ses doctorants. A les entendre, la GPA est vraiment ce qui peut arriver de mieux à une femme. Non seulement elle vit une grossesse et un accouchement, expériences déjà paradisiaques en soi, mais en plus elle les vit pour d'autres, ce qui fait passer à la trappe les petits inconvénients et minuscules bobos liés à cette situation. Car oui, apporter le bonheur à d'autres, on le sait, représente le plus grand accomplissement imaginable pour une femme. Il n'y a vraiment que des féministes enragées pour en douter.


Mis à jour (Dimanche, 13 Septembre 2015 21:37)

 

Si vous voulez être nos alliees... (retour sur un atelier du Colloque féministe)

Si vous voulez être nos alliées...

 
 
 
Si vous voulez être nos alliées, dit-elle, n'essayez pas de nous définir à notre place. C'est un des principes de base du féminisme : c'est à chaque femme de se définir elle-même, toute autre attitude est de la violence. Donc, que vous soyez d'accord ou non avec cette appellation, considérez-moi comme "travailleuse du sexe", puisque je me définis ainsi. Inutile de se disputer pour savoir si c'est un "travail" ou non : contentez-vous de respecter la façon dont chacune a choisi de se définir. Et ne definissez pas non plus le vécu des personnes à leur place. (Cela m'a rappelé un débat pénible à la Fête des Solidarités, l'an dernier, où des abolitionnistes assimilaient tout acte de prostitution à un viol, ce que  j'avais trouvé  d'une extrême violence par rapport aux personnes prostituées et aussi comme une formd de "banalisation" de ce crime qu'est le viol).
 
Physiquement d'aspect solide, massive, elle parle d'une voix douce et s'excuse régulièrement de ne pas être plus claire, elle dit qu'elle est épuisée. Lorsqu'une intervention de la salle la heurte, elle dit : vos propos sont blessants - mais sans insulter la personne, ce qui est rare dans ce type de débat. 
 
"Si vous voulez être nos alliées", c'est le thème de l'atelier, au sein du colloque "Féminismes putes", tout un programme. D'autres discours, ce sont juste des analyses, ou des demandes, qu'on peut avoir envie  d'écouter, ou pas. Mais sa voix, son ton, s'imposent d'emblée.
 
Elle se définit comme travailleuse du sexe, nous dirons "TDS" pour la commodité, et féministe de longue date. Elle dit : c'est mon choix, c'est un choix pour l'argent, entre 60h/semaine chez Tim Horton (chaîne de cafés  américaine) et 4h de prostitution, j'ai choisi.
 
Son message s'adresse aux féministes. Les alliances sont possibles, même avec les abolitionnistes (les "abolos", pour la commodité). En attendant unes société idéale sans prostitution (si l'on y croit), on ne devrait pas se disputer sur la nécessité ou non de "sortir de la prostitutio,  mais on peut réfléchir ensemble, on peut se battre ensemble, pour s'attaquer au vrai problème : comment éviter d'y entrer.
 
Alors, dit-elle, nous pouvons nos retrouver, même avec les abolos, dans la lutte contre la pauvreté, les politiques répressives en matière de migration, pour la gratuité des soins aux personnes trans, pour des programmes sociaux.. Moins de misère, ce sera moins d'entrées dans le TDS. Plutôt que de se battre pour une pénalisation qui ne peut que nous fragiliser, dit-elle.
 
Vous voulez lutter contre le harcèlement sexuel ? Très bien, c'est un combat commun. Il y a aussi du harcèlement dans les hôpitaux, personne ne demande pour autant de supprimer les hôpitaux.
 
Si vous voulez être nos alliées, dit-elle encore, ne nous demandez pas pourquoi nous sommes des TDS. Ne nous demandez pas de nous justifier. Ne nous demandez pas si c'est parce que nous sommes pauvres, ou toxicos, ou ci c'est un choix, ou par manque de choix.
 
En tant que féministe, dit-elle encore, j'ai toujours milité pour la non mixité dans les luttes. Mais on ne peut ignorer qu'un tiers des TDS ne sont pas des "femmes cis", mais des hommes ou des trans. On ne peut donc pas seulement analyser la prostitution en termes de rapports d'oppression hommes/femmes, en ignorant un tiers des personnes concernées.
 
Une objection vient de la salle : on ne peut tout de même oublier, dans l'analyse des rapports de domination, qu'une écrasante majorité des clients sont des hommes. Elle répond simplement : oui. Oui, c'est vrai. Mais ce n'est pas un problème propre à la prostitution. Cette réalité s'inscrit dans un continuum de domination économico-sexuelle, d'un échange du corps contre la survie, un continuum qui va de la prostitution au mariage. Et si vous voulez parler d'exploitation, d'accord : le travail, tout travail, peut être lu comme un exploitation.
 
Non, dit-elle, la prostitution n'est pas un "travail comme un autre". Mais ce n'est pas parce qu'il s'agit de sexe, mais à cause de la stigmatisation dont elle fait l'objet. Et c'est cela, cette stigmatisation, qui amène des conditions de travail horribles, des violences. La priorité est donc de sécuriser ces conditions, plutôt que de s'écharper sur la notion de "travail". Quant au fait que cela concerne le sexe, il faut admettre que pour certain/e/s, il s'agit d'un domaine lié à l'intime, mais pour d'autres non.
 
Pénaliser le client ? C'est encore nous fragiliser, répond-elle. Et les clients ne sont pas pires que certains partenaires, ajoute un autre TDS. La domination peut se retrouver partout.
 
(On n'aura pas le temps de parler du proxénétisme, dommage)
 
En tout cas, une activité pour un revenu ne peut pas être considérée sous l'angle d'un choix "moral". Elle dit comprendre que dans une société idéale, on imagine une sexualité sans domination -  même si, dit-elle, je n'y crois pas trop (moi non plus d'ailleurs). Peut-etre faut-il se contenter de penser que dans une société idéale, seul/e/s se prostitueraient ceux et celles qui ont vraiment envie. Si l'on admet quehors de toute contrainte,  même économique,  une telle envie continue à exister.
 
Mais nous pouvons être d'accord sur une chose, dit-elle : militons ensemble pour que le travail du sexe soit un choix, et jamais une contrainte. N'est-ce pas la même chose finalement que ce que vieulent les "abolos" ? Alors, dit-elle, si on se mettait ensemble ? Imaginez ce qu'on pourrait faire alors !
 
Ce jour là,  on avait vraiment envie de rêver avec elle.
 
PS : Plus tôt dans la semaine, le STRASS dont cette personne fait partie avait chahuté un autre atelier, orienté "abolo", attitude évidemment inacceptable et loin des "alliances" possibles. J'ignore si cette personne faisait partie des chahuteurs, c'est son discours qui m'a touchée. 

Mis à jour (Dimanche, 30 Août 2015 11:48)

 

C'est l'histoire d'une fille...

C'est l'histoire d'une fille...

Très tôt, elle a senti qu'elle était « différente ». En quoi, elle ne le comprenait pas. D'abord, on a cru que c'était parce qu'elle n'était pas née ici, qu'elle avait dû s'adapter à des langues, des coutumes, des environnements différents, qu'elle avait du mal à communiquer avec les autres enfants, qu'elle avait tous les atouts de la souffre-douleur... Malgré cela elle adorait l'école, tout en détestant l'uniforme obligatoire, la jupe sombre, la chemise au col raide qui grattait... A la fin de l'école primaire, elle a consciencieusement découpé aux ciseaux chacune des pièces de cet uniforme honni.

Mais à la puberté, c'est devenu pire. Elle, plutôt genre casse-cou peur-de-rien, qui adorait courir, plonger, sauter, s'est transformée en trouillarde maladroite, cauchemar des leçons de gym. Au lycée pour filles, pas d'uniforme, mais interdiction du pantalon même par les plus grands froids. En jupe elle se sentait comme « déguisée ». Mais ce n'était qu'un détail de son mal-être général, de sa difficulté de contact avec les autres, auxquelles elle aurait tant voulu ressembler.... Son adolescence a été une suite de médecins et de psys... aux « conseils » des plus farfelus, jusqu'à un an de régime sans sel, on ne vous dit pas le pied en colonie de vacances ! Autant dire que ça ne changeait rien. Ils ont tout essayé...

 

Mis à jour (Vendredi, 03 Juillet 2015 11:41)

 

Une saison de Mise au Point : mais où sont les femmes ?

Mise au Point, c'est l'émission politique phare de la télévision de service public en Belgique francophone : le débat du dimanche midi, portant sur tous les sujets d'actualité, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, économiques ou sociétaux, allant des débats budgétaires au terrorisme, de la gestation pour autrui à la situation de la Grèce, du nucléaire à la corruption dans le monde du foot, pour prendre quelques sujets de ces derniers mois.

Comme toutes les émissions qui durent, celle-ci entraîne une certaine lassitude, d'autant que sa formule ne change guère, que les invités sont souvent les mêmes et qu'on y entend peu d'idées nouvelles ou de positions originales. La formule reste : « expliquez-nous une situation complexe en trente secondes, au-delà de ce délai votre parole n'est plus valable ». Exercice décourageant pour les meilleures volontés.

On peut donc renoncer à la regarder pour préserver la tranquillité de son week-end, mais on peut aussi penser qu'il est important de savoir ce que les gens voient et entendent. J'ai choisi ce deuxième point de vue. J'aurais beaucoup de choses à dire sur une émission que je regarde donc, ne serait-ce que d'un oeil, pratiquement chaque semaine, mais je me bornerai ici à une seule dimension, qui me tient fort à coeur : la sous-représentation des femmes (1).


Mis à jour (Lundi, 06 Juillet 2015 10:42)

 

Camarade dominant/e

C'est un joli nom, camarade (1). C'est un vilain mot, « dominant/e ». Comment peut-on associer ces deux termes ? C'est simple : parce qu'on peut être « camarades » dans certaines luttes tout en faisant partie des « dominant/e/s » sur d'autres plans. On peut même être à la fois « dominant/e » ET néanmoins camarade de combat, même si cela demande une certaine flexibilité... et beaucoup de modestie.

 

L'alliée idéale

Le 28 juin dernier avait lieu à Bruxelles (après Paris) une journée de rencontres sur le thème de l'intersectionnalité, ce terme un peu compliqué qui analyse des questions de genre, de race et de classe non pas comme des sujets, des dominations et des luttes séparés, mais dans tous leus croisements et leurs interactions. La première table ronde, consacrée à la représentation des femmes racisées dans les médias et ouverte à tou/te/s, était passionnante. La suite paraissait tout aussi prometteuse, mais était réservée "aux personnes racisées (c’est-à-dire non-blanches) afin qu’elles puissent profiter de ce moment rare pour parler et échanger sur leurs expériences personnelles et stratégies face au racisme et s’entraider sur des sujets auxquels elles sont confrontées dans leur vie et construire ensemble" (2).

Je n'ai donc pas pu y assister. Et j'ai pensé à toi, camarade dominant homme, tellement frustré quand des femmes organisent des activités non mixtes. A toi le camarade sincère du moins, pas à tous ceux qui ne meurent d'envie de participer que quand ils sont exclus, mais qu'on ne voit jamais dans les activités mixtes... J'ai pensé à toi parce que bien sûr, j'étais frustrée. J'étais frustrée de toutes les choses que j'aurais pu entendre, comprendre, partager, j'étais frustrée de ma solidarité, alors que j'étais prête à me taire, juste à écouter et nourrri ma réflexion – contrairement à toi, camarade homme, qui as si souvent tendance à vouloir expliquer aux femmes ce qu'est le « vrai féminisme »... J'étais une « bonne alliée », l'alliée idéale, en fait, et pourtant exclue !

A ce point de lecture, camarade dominant, tu te dis que j'exprime une révolte, un sentiment d'injustice. Eh bien non ! Bien que faisant moi-même partie de ces « minorités dominées » (en tant que juive, en tant que lesbienne), je comprends parfaitement le besoin que l'on peut avoir de se réunir entre personnes vivant les mêmes réalités, celles des « minorités visibles ». Quand je me balade dans la rue, quand je me présente pour un emploi, je peux parfaitement cacher mes appartenances « dominées » (en dehors de mon sexe). La copine noire ou asiatique ne le peut pas, et ça fait une sacrée différence. J'ai beau l'écouter, faire appel à toute mon empathie, je ne partagerai jamais son vécu. Ce n'est pas un reproche, c'est un constat : que je le veuille ou non, que je les exerce ou non, j'ai des « privilèges » qu'elle n'aura jamais.

 

Non, tu ne sais pas...

La journée était organisée par le mystérieux « TMTC », « toi-même tu sais ». On ne peut mieux dire. Il y a ceux et celles qui « savent », pas par des lectures ou par l'écoute des autres, non, dans leurs tripes, et ceux et celles qui au mieux «entendent», mais ne « savent pas ».

Non, camarade masculin, malgré toute ta bonne volonté, tu ne sais PAS ce que c'est de subir ces regards dans la rue, qu'ils soient « admiratifs » ou moqueurs, sur ses seins, ses fesses, de calculer ses trajets pour éviter les lieux réputés « dangereux », de réfléchir à la façon de s'habiller non pas selon ses envies, mais selon les endroits que l'on fréquentera, tu ne sais pas ce que c'est que la crainte du viol, lancinante ou sourde, à moins d'avoir subi toi-même une agression sexuelle – tandis que la majorité des femmes le sentent au fond d'elles, qu'elles l'aient déjà vécu personnellement ou non.

Non, camarade hétéro, tu ne sais PAS ce que c'est de ne pas oser prendre la main de son/sa partenaire dans la rue, ni l'embrasser comme tu le fais sans réfléchir à ton privilège, et je ne parle même pas des violences ouvertes, des tabassages de gays ou des viols « correctifs » de lesbiennes. Pas plus que je ne sais, malgré tout mon intérêt et mon empathie, ce que c'est de vivre quotidiennement (chercher du boulot, prendre l'avion...) comme cet être « bizarre » dont l'identité officielle H/F ne correspond pas à l'apparence.

Camarade valide, tu ne sais PAS (et moi non plus d'ailleurs) ce que c'est de se retrouver devant un bâtiment inaccessible, d'ignorer un message pratique qu'on n'a pas pu entendre entendu, un obstacle qu'on ne peut pas voir ; tu ne sais pas le privilège incroyable que tu as d'aller et venir comme tu le souhaites, de pouvoir te débrouiller dans la plupart des situations parce que tu connais les codes et que tu peux compter sur tes jambes, tes oreilles et tes yeux.

Camarade aisé/e – même pas riche, juste capable de boucler tes fins de mois, juste avec un toit sur la tête et trois repas par jour – tu ne sais PAS (moi non plus d'ailleurs, ou du moins c'est très loin) ce qu'est la vraie pauvreté, l'angoisse de qui ne sait pas où dormir, que ce soit l'hiver ou l'été.

Tu ne le sais pas plus que je ne sais ce que c'est, viscéralement, d'appartenir à une minorité « visible », celle que l'on ne peut pas cacher, d'être en butte tous les jours aux regards (au mieux), aux insultes ou au coups (au pire), aux «contrôles au faciès», aux petites blgaues sans méchanceté intentionnelle et qui déchirent pourtant.

Si tu veux aider...

Alors, camarade dominant/e, je te suggère de réfléchir à tous ces privilèges dont tu ne te rends même pas compte, pas pour t'en culpabiliser – il n'y a pas de quoi, tu n'en abuses pas puisque tu es un/e camarade : ils sont là sans que tu n'aies besoin d'écraser personne pour les exercer. Je ne te demande pas d'y renoncer – ça ne servirait à personne. Il suffirait juste de les reconnaître, de ne pas faire semblant de « partager » le sort de ces autres qu'on ne te demande pas non plus de plaindre – c'est inutile. Juste de leur laisser la parole, les écouter même si tou/te/s ne disent pas la même chose, respecter leurs choix même s'ils sont contradictoires, ne pas considérer comme une « chamaillerie » ou une incapacité de savoir ce qu'on veut ce qui, dans ton monde dominant à toi, accède au noble de statut de « débat ». Je te demande de les prendre au sérieux et si tu veux vraiment être solidaire, de les soutenir, de les accompagner – ou de les laisser tranquilles si tel est leur souhait, sans t'indigner de ton « exclusion ». Si tu te bats avec eux/elles, de leur laisser le choix des armes. Si tu veux les aider à se faire entendre, leur laisser la parole, même si tu penses que tu as les meilleurs arguments du monde.

Et à toi qui cumules les avantages, je ne te demande de t'excuser d'être homme, blanc, hétéro, valide. Juste de savoir que tu ne représentes pas un quelconque « universel » mais une particularité parmi d'autres et même, oui, une minorité. A toi de voir si tu veux maintenir cette « oligarchie » au pouvoir ou si tu veux te battre pour une société ouverte et inclusive. Si tu es un/e vrai/e camarade.

 

(1) Comme le chante Jean Ferrat : http://www.dailymotion.com/video/x5oepy_jean-ferrat-camarade_music

 

(2) Les infos sur cette journée : www.itmc.org

Je vous recommande aussi la revue « Assiégées » dont le premier numéro vient de paraître, qui se définit comme un « projet politique porté par des personnes issues des 'anciennes' colonies européennes ».

Mis à jour (Mardi, 30 Juin 2015 10:48)

 
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