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Colloque : prévenir les violences envers les femmes

Bien avant la création du Ministère des Droits de Femmes au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une commune bruxelloise avait déjà détaché la question « femmes » de la très large « égalité des chances » : Etterbeek. Le 3 octobre dernier, l'échevine de l'Egalité Hommes-Femmes, Marie-Rose Geuten, organisait un colloque sur le thème « Prévenir les violences à l'égard des femmes ».

Dans un public essentiellement féminin, il s'est tout de même trouvé un participant pour regretter l'absence d'hommes à la tribune, avant de déclarer, face à ces « belles femmes » (compétentes surtout, mais peut-être ne l'avait-il pas remarqué) que tout de même, dans sa pratique médicale, il rencontrait une violence bien plus grave que les agressions sexuelles : l'obligation pour certaines petites filles de porter le voile. Ce à quoi Ernestine Ronai, l'une des invitées principales du colloque, lui a sèchement répondu que si la laïcité était à ses yeux une valeur importante, elle ne partageait pas cette obsession sur une seule religion et qu'en tout cas, il était inacceptable de sous-estimer ainsi les violences sexuelles, qui laissent des traces indélébiles sur leurs victimes.

Plus tard, une autre femme médecin (décidément, le corps médical n'était pas à son avantage) insistait sur le fait que les hommes aussi peuvent être victimes (ce qui est incontestable). Pour illustrer son propos, elle donnait l'exemple d'un de ses patients, dont la femme avait un boulot plus responsable, plus fatigant, et qui laissait donc le père se lever toutes les nuits pour s'occuper du bébé. Qu'il ait ressenti cela comme une violence, c'est bien possible, que le médecin doive l'écouter et le soigner, c'est certain, mais que ce soit pris comme un exemple de « violences » doit laisser bien des mères dubitatives...

Mais ce n'étaient là que quelques épisodes anecdotiques dans un colloque par ailleurs fort intéressant, grâce à deux invitées venues de France : Ernestine Ronai et Karen Sadlier.

 

Briser le silence

Ernestine Ronai est une figure marquante de la lutte contre les violences conjugales en Seine-Saint-Denis, travail pour lequel elle vient d'être décorée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Ce département a introduit une série d'innovations qui ont été ensuite étendues à toute la France, comme un téléphone d'urgence distribué aux femmes en danger et leur permettant, en appuyant sur une seule touche, de faire appel à un service d'aide.

Dans un langage simple, concret et très illustré, qui n'appartient qu'à elle, Ernestine Ronai a détaillé une série de dispositifs et d'outils nouveaux, qu'elle appelle à partager, car on perd beaucoup de temps et d'énergie à vouloir tout réinventer dans son coin.

D'abord, il faut savoir de quoi on parle. Un Observatoire doit permettre de rendre visibles les violences à l'égard des femmes, mais aussi de comparer des chiffres qui arrivent en ordre dispersé (pas toujours les mêmes questions posées, les âges pris en compte...) Il est possible, sans grands moyens (qui ne sont pas disponibles), de chiffrer le problème, au moins pour des publics particuliers. Par exemple, interroger systématiquement les femmes admises à l'hôpital, ou lors de consultations médicales. Mais pour qu'une femme parle de violences subies, il faut qu'elle soit convaincue d'être entendue, et pour cela, il faut lui poser la question. On parle de « briser le silence », dit Ernestine Ronai, mais le premier silence à briser est celui des professionnel/le/s. Que ce soit dans le domaine de la santé, de la police, de la justice, du social ou de la protection de l'enfance, ces professionnel/le/s reçoivent une formation sur ce thème.

Grâce à l'action du Ministère des Droits des femmes, la France a introduit plusieurs innovations : l' « ordonnance de protection sans plainte » qui permet d'éloigner un conjoint violent, s'il existe un faisceau d'indices suffisant, même si la victime a trop peur pour déposer plainte. En cas de violences, la médiation ne peut intervenir qu'à la demande de la victime (médiation que Mme Ronai illustre ainsi : « Vous, monsieur, vous arrêtez de taper sur Madame, et vous, Madame, vou arrêtez d'énerver Monsieur ! »). Outre les refuges, villes et département mettent des logements à disposition des victimes qui doivent quitter le domicile, avec un accompagnement social. Il existe par ailleurs un protocole de protection des enfants, qui permet de ne pas les placer automatiquement dans la famille du père quand celui-ci a tué la mère. Dqns ces-là, une hospitalisation d'office permet de faire le point sur les dégâts psychologiques et d'envisager des solutions d'avenir.

 

Les risques de la co-parentalité

La situation des enfants, c'était précisément le sujet traité par l'autre invitée venue de France, Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique. A partir de cas concrets, elle a montré de manière saisissante comment les violences conjugales font des dégâts chez les enfants. Elle conteste la mode actuelle d'encourager à tout prix la co-parentalité, qui met en danger la mère... et l'enfant. Elle met à mal l'idée qu'un mari violent peut être aussi un « bon père », car même si l'enfant n'a pas subi de violences directes, le seul fait d'assister aux violences, d'entendre, de voir, est un traumatisme en soi, qui demande tout un travail pour que la relation puisse ensuite être rétablie de manière sécurisante. Elle montre de manière saisissantele risque d'effets pervers : si l'enfant a peur du parent violent, il exprimera son insécurité, paradoxalement, chez sa mère et il se tiendra tranquille chez son père. Les experts peuvent alors en déduire que c'est la mère qui est insécurisante puisque l'enfant montre chez elle davantage de comportements problématiques...

Elle explique aussi la MAP, mesure d'accompagnement protégé : partant du constat que la majorité de meurtres de femmes par un ex-conjoint a lieu lors de la passation des enfants, cette mesure vise à éviter tout contact entre victimes et auteurs, en faisant accompagner les enfants pour le droit de visite par une tierce personne, qui peut aussi écouter l'enfant et vérifier durant les trajets qu'il n'y a pas de problèmes, sans que la mère soit soupçonnée d'influencer l'enfant... Si l'auteur refuse la MAP, il n'a pas droit aux visites.

 

Mais la prévention ?

Deux dernières remarques : on a tout de même peu parlé de la « prévention primaire », de ce qu'on peut faire avant que les violences n'aient lieu ou qu'elles prennent un caractère grave. Cela reste un point aveugle des politiques, même dites « de prévention ».

Enfin, il est important de réaffirmer que non, les « violences conjugales » ne sont pas un phénomène « sexuellement neutre », dont les hommes seraient victimes comme les femmes, les différences étant purement statistiques. Lorsque Mme Sadlier explique que la période où la victime risque le plus de recevoir des coups est le 2e trimestre de grossesse, ou que l'une des choses qui empêche les victimes de réagir, c'est leur habitude de s'occuper davantage des besoins des autres que des leurs, on voit bien qu'il s'agit là de circonstances (liées à la biologie et ou à la socialisation) propres aux femmes. Donc oui, il faut parler aussi des hommes victimes, prévoir des services d'accueil et d'aide, mais dans un chapitre à part, avec des analyses et des propositions spécifiques. Les mettre sur le même plan, c'est nier un phénomène de domination et se priver aussi d'une intervention efficace – et de la possibilité de mettre en place une réelle politique de prévention.

 

On peut trouver ici des informations supplémentaires sur les actions en Seine-Saint-Denis

Mis à jour (Vendredi, 10 Octobre 2014 13:37)

 

Deux jours, une nuit, zéro collectif

Certains trouvent les films des frères Dardenne répétitifs, monotones, sinon carrément chiants. Moi, depuis la « Promesse », je les suis avec passion, même si tous ne me « parlent » pas de la même façon (« La Promesse » reste pour moi un sommet). Ils ont l'immense mérite d'évoquer un univers peu présent au cinéma, qui préfère s'intéresser aux peines de coeur des bourgeois/es ou aux états d'âme des margino-punks – et je ne veux pas du tout dire que bourgeois/es et personnes vivant à la marge ne m'intéressent pas ; mais le monde ouvrier est trop souvent absent, et les cinéastes qui s'y plongent le font une fois (comme dans le magnifique « Ressources humaines » de Cantet) avant de passer à autre chose, tandis que les frères Dardenne creusent leur sillon.

Tout cela pour dire que j'ai testé pour vous « Deux jours, une nuit ». Une ouvrière qui revient d'une absence pour dépression sera licenciée sauf si ses collègues renoncent à une prime de 1000 euros. On le devine, aucun/e de ces collègues ne peut se passer facilement de ces 1000 euros, nécessaires pour payer les traites, les études des enfants, des aménagements dans la maison... Durant tout un week-end, soutenue par son mari,Sandra va aller les voir un/e à un/e pour leur demander de voter le lundi matin pour qu'elle puisse garder son travail (et donc, de renoncer à leur prime).

On peut certes rester insensible à la « manière Dardenne », un peu distante et froide, je dirais presque nordique, d'exprimer les émotions. J'admire quant à moi cette façon de faire sentir, par un mot ou un geste, toute la violence d'une relation de couple, l'amour comme la détresse (voir la belle scène avec Timur!). Et en plus, ils sont servis par de formidables comédien/ne/s (ce qui en dit beaucoup aussi de leur direction d'acteurs). Dernier point d'enthousiasme, et non des moindres : on se demande vraiment comment ils vont s'en sortir pour une fin qui ne soit pas simpliste, dans un sens ou l'autre (j'ai même imaginé que le film s'arrêterait avant le résultat du vote...) ; eh bien, moi qui ai souvent des problèmes avec les « fins », j'ai trouvé celle-ci magnifique.

Pourtant, je garde des réticences. Le dilemme moral est un sujet récurrent chez les frères Dardenne : c'était déjà le thème de « La Promesse ». Mais ici, la question est biaisée dès le départ : pour rentrer complètement dans le film, il faut accepter l'alternative « prime pour tous » ou « réintégration d'une seule ». Certes, on entend le patron de cette entreprise de panneaux solaires (tiens, tiens, voilà qui ouvrait d'autres possibilités...) dire brièvement qu'il ne peut faire autrement, la concurrence asiatique, et blablabla... Et Sandra répète aux plus hostiles que ce choix, ce n'est pas elle qui les met devant ce choix. Mais fondamentalement, sa logique n'est pas remise en cause.On sent comme un frémissement quand un ouvrier dit à Sandra : on peut faire le travail à 16, alors pourquoi le patron en garderait 17 ? Et qu'on apprend qu'en fait, la production se fait par une accumulation d'heures supplémentaires. Mais le film ne creuse pas cette piste-là. A aucun moment, le collectif n'apparaît. Il y a bien d'un côté le patron assez cynique et le « méchant contremaître » (des personnages qui manquent de complexité, autre réticence) et de l'autre, 16 travailleur/se/s coincés dans un choix impossible. Mais à aucun moment on ne sent de collectif, même pas entre celles et ceux qui ont décidé de renoncer à leur prime pour garder Sandra. Bien sûr, dans une aussi petite entreprise, le syndicat est absent (du moins formellement), mais c'est la solidarité qui a fait la force du mouvement ouvrier, pas des choix moraux individuels.

Attention ; je ne suis pas en train de plaider pour un film « exemplaire », avec une grève héroïque qui se serait terminée par la grande victoire du prolétariat et une dernière scène où les 17 marcheraient ensemble, vers l'avenir radieux, en chantant "Tous ensemble, tous ensemble, ouais ouais ouais !". C'est le fait que cette piste-là ne soit même pas envisagée qui me laisse sur ma faim.

Plutôt que « Deux jours, une nuit », le film aurait peut-être dû s'appeler « Seize travailleurs, un patron ». D'accord, ça sonne moins bien, mais ça aurait « résonné » bien mieux. En tout cas pour moi.

Mis à jour (Samedi, 28 Juin 2014 09:12)

 

Pour un Ministère des Droits des Femmes

L'idée est partie de Vie Féminine et a essaimé depuis, recevant l'appui du magazine Elle puis, avec plus ou moins de conviction, de représentantes de l'ensemble des partis politiques francophones (l'exercice n'a pas encore été tenté côté flamand) : dans le prochain gouvernement fédéral, il faut un Ministère des Droits des femmes !

Naturellement, à côté des appuis, on a entendu bien des sarcasmes, mais aussi de vrais questionnements : pourquoi ne pas se satisfaire d'une compétence « égalité des chances » qui existe désormais à tous les niveaux de pouvoir ? Pourquoi ne pas regrouper les minorités (ou en tout cas les catégories minorisées) plutôt que de les mettre en concurrence ?

Il est vrai qu'actuellement, les femmes sont de plus en plus souvent noyées dans la vague catégorie de la « diversité », un terme déjà significatif en soi : il laisse sous-entendre qu'il existerait un « modèle » d'humanité, l'homme blanc d'âge moyen, hétérosexuel et valide, les autres (personnes dites « de couleur », homosexuelles, handicapées, jeunes, vieux... et femmes) étant autant de « cas particuliers ». Ce qui est contestable pour ces « autres » l'est encore plus pour les femmes qui, rappelons-le, forment la moitié de l'humanité et sont présentes dans l'ensemble des autres catégories. Difficile de s'en débarraser : une société (autoritaire) pourrait décider de mettre de côté tout aspect « autre » (apparence, culture...), expulser ses « étrangers », condamner ses homos à la clandestinité et enfermer ses handicapés dans des institutions à l'a bri des regards; elle ne peut se passer d'hommes et de femmes, en proportion équilibrée, sous peine de mettre en péril sa propre reproduction.

C'est quand ils sont noyés dans « l'égalité des chances » (notion par ailleurs très libérale) que les droits des femmes entrent justement en concurrence avec d'autres revendications. Quand les moyens publics sont limités, les priorités des un-e-s se font forcément au détriment de celles des autres. Et au sein même des catégories discriminées, on voit que souvent, la domination masculine a tendance à se reproduire et à faire disparaître les revendications ou même la simple visibilité des femmes. Ainsi, la lutte contre l'homophobie se réduit souvent à protéger les gays, les besoins spécifiques des lesbiennes étant oubliés (1).

Et pourquoi pas, alors, une compétence de « l'égalité des femmes et des hommes » ? Parce qu'on voit bien ce qui se passe avec l'Institut du même nom (IEFH), ainsi qu'avec les politiques publiques : l' « égalité » sert trop souvent à gommer en priorité les inégalités... dont les femmes bénéficient. Ce fut le cas en matière de pensions (2) ou d'assurances (3), alors que les inégalités de revenus au détriment des femmes ne se résorbent pas. Il faut savoir qu'un tiers des plaintes arrivant à l'Institut sont le fait des hommes. Imagine-t-on qu'un tiers des plaintes pour racisme émanent de blancs, que les discrimination sur base de l'orientation sexuelle soient dénoncées à 30% par des hétérosexuels ou que les valides se plaignent en masse des places de parking pour handicapés ? Et qu'en plus, ces plaintes donnent lieu à des adaptations législatives ? Non, décidément, les femmes ne sont pas une catégorie « minorisée » comme les autres...

Par ailleurs, les droits des femmes dont il est question ne ressortent strictement pas tous du domaine de « l'égalité » mais leur sont spécifiques : qu'on songe seulement au droit à l'avortement. Ils sont également très éclatés entre différents niveaux de pouvoir et/ou compétences : tout ce qui concerne les droits reproductifs est du ressort de la Santé, la réglementation du chômage dépend du Ministère du Travail, les violences de l'Intérieur et de la Justice, la mise en place d'un service de paiement des pensions alimentaires des Finances, la prise en charge collective des enfants des Communautés, la lutte contre les stéréotypes sexués de l'Education et de l'Audiovisuel, etc.

Cette transversalité inévitable peut-elle être prise en compte par d'autres voies ? On voit bien que l'existence théorique d'un « gendermainstreaming », censé passer toutes les décisions politiques au filtre du genre pour vérifier leur impact éventuellement différent sur les hommes et sur les femmes, n'a pas empêché, par exemple, une réforme du chômage dont on sait déjà qu'elle touchera encore davantage les femmes que les hommes. Un Ministère des Droits des Femmes aurait pour tâche de centraliser toutes ces questions, à condition de disposer de vrais moyens financiers et humains et de ne pas être noyé dans d'autres priorités ; il pourrait aussi avancer ses propres propositions et visibiliser les revendications des femmes.

Deux remarques personnelles pour finir.

Dans une période de restrictions tous azimuths et un gouvernement resserré, il est peu probable qu'on « sacrifie » un poste pour s'occuper des droits qui ne concernent, après tout, que la moitié de la population.. (raisonnement faux par ailleurs, car les droits des femmes concernent tout le monde). Mais lancer le débat, c'est obliger à regarder en face cette vérité : malgré les discours et les lois sur l'égalité, celle-ci n'avance guère et parfois même recule.

Deuxième point, et il me paraît particulièrement important : comme toutes les conquêtes sociales, les droits des femmes sont d'abord le résultat de mobilisations d'un mouvement de base, dont un éventuel Ministère, comme le travail de parlementaires féministes, ne peuvent être que le relais. Un mouvement qui aurait donc tout intérêt à une recompoistion autour de revendications partagées, sans enterrer les « sujets qui fâchent » mais sans les laisser empoisonner l'indispensable programme commun.

Paru dans la Revue Nouvelle, Avril 2014

 

(1) On constate actuellement une exception avec une proposition de loi qui reconnaît la co-parentalité pour les lesbiennes, et pour elles seules. Mais on a échappé de peu, au nom de l'égalité, à la porte ouverte à une légalisation très contestée de la « gestation pour autrui » (les mères porteuses).

(2) Durée de carrière portée de 40 à 45 ans comme les hommes, au nom de l'égalité, ce qui n'a fait que creuser le fossé entre pensions des hommes et des femmes.

(3) Parce qu'elles provoquent moins d'accident, les femmes pouvaient bénéficier de primes plus basses. Au nom de l'égalité, c'est désormais fini.

Mis à jour (Dimanche, 22 Juin 2014 09:58)

 

Pourquoi un Ministère des Droits des Femmes ?

 

L'idée est partie de Vie Féminine et a essaimé depuis, recevant l'appui du magazine Elle puis, avec plus ou moins de conviction, de représentantes de l'ensemble des partis politiques francophones (l'exercice n'a pas encore été tenté côté flamand) : dans le prochain gouvernement fédéral, il faut un Ministère des Droits des femmes !

Naturellement, à côté des appuis, on a entendu bien des sarcasmes, mais aussi de vrais questionnements : pourquoi ne pas se satisfaire d'une compétence « égalité des chances » qui existe désormais à tous les niveaux de pouvoir ? Pourquoi ne pas regrouper les minorités (ou en tout cas les catégories minorisées) plutôt que de les mettre en concurrence ?

Il est vrai qu'actuellement, les femmes sont de plus en plus souvent noyées dans la vague catégorie de la « diversité », un terme déjà significatif en soi : il laisse sous-entendre qu'il existerait un « modèle » d'humanité, l'homme blanc d'âge moyen, hétérosexuel et valide, les autres (personnes dites « de couleur », homosexuelles, handicapées, jeunes, vieux... et femmes) étant autant de « cas particuliers ». Ce qui est contestable pour ces « autres » l'est encore plus pour les femmes qui, rappelons-le, forment la moitié de l'humanité et sont présentes dans l'ensemble des autres catégories. Difficile de s'en débarraser : une société (autoritaire) pourrait décider de mettre de côté tout aspect « autre » (apparence, culture...), expulser ses « étrangers », condamner ses homos à la clandestinité et enfermer ses handicapés dans des institutions à l'a bri des regards; elle ne peut se passer d'hommes et de femmes, en proportion équilibrée, sous peine de mettre en péril sa propre reproduction.

C'est quand ils sont noyés dans « l'égalité des chances » (notion par ailleurs très libérale) que les droits des femmes entrent justement en concurrence avec d'autres revendications. Quand les moyens publics sont limités, les priorités des un-e-s se font forcément au détriment de celles des autres. Et au sein même des catégories discriminées, on voit que souvent, la domination masculine a tendance à se reproduire et à faire disparaître les revendications ou même la simple visibilité des femmes. Ainsi, la lutte contre l'homophobie se réduit souvent à protéger les gays, les besoins spécifiques des lesbiennes étant oubliés (1).

Et pourquoi pas, alors, une compétence de « l'égalité des femmes et des hommes » ? Parce qu'on voit bien ce qui se passe avec l'Institut du même nom (IEFH), ainsi qu'avec les politiques publiques : l' « égalité » sert trop souvent à gommer en priorité les inégalités... dont les femmes bénéficient. Ce fut le cas en matière de pensions (2) ou d'assurances (3), alors que les inégalités de revenus au détriment des femmes ne se résorbent pas. Il faut savoir qu'un tiers des plaintes arrivant à l'Institut sont le fait des hommes. Imagine-t-on qu'un tiers des plaintes pour racisme émanent de blancs, que les discrimination sur base de l'orientation sexuelle soient dénoncées à 30% par des hétérosexuels ou que les valides se plaignent en masse des places de parking pour handicapés ? Et qu'en plus, ces plaintes donnent lieu à des adaptations législatives ? Non, décidément, les femmes ne sont pas une catégorie « minorisée » comme les autres...

Par ailleurs, les droits des femmes dont il est question ne ressortent strictement pas tous du domaine de « l'égalité » mais leur sont spécifiques : qu'on songe seulement au droit à l'avortement. Ils sont également très éclatés entre différents niveaux de pouvoir et/ou compétences : tout ce qui concerne les droits reproductifs est du ressort de la Santé, la réglementation du chômage dépend du Ministère du Travail, les violences de l'Intérieur et de la Justice, la mise en place d'un service de paiement des pensions alimentaires des Finances, la prise en charge collective des enfants des Communautés, la lutte contre les stéréotypes sexués de l'Education et de l'Audiovisuel, etc.

Cette transversalité inévitable peut-elle être prise en compte par d'autres voies ? On voit bien que l'existence théorique d'un « gendermainstreaming », censé passer toutes les décisions politiques au filtre du genre pour vérifier leur impact éventuellement différent sur les hommes et sur les femmes, n'a pas empêché, par exemple, une réforme du chômage dont on sait déjà qu'elle touchera encore davantage les femmes que les hommes. Un Ministère des Droits des Femmes aurait pour tâche de centraliser toutes ces questions, à condition de disposer de vrais moyens financiers et humains et de ne pas être noyé dans d'autres priorités ; il pourrait aussi avancer ses propres propositions et visibiliser les revendications des femmes.

Deux remarques personnelles pour finir.

Dans une période de restrictions tous azimuths et un gouvernement resserré, il est peu probable qu'on « sacrifie » un poste pour s'occuper des droits qui ne concernent, après tout, que la moitié de la population.. (raisonnement faux par ailleurs, car les droits des femmes concernent tout le monde). Mais lancer le débat, c'est obliger à regarder en face cette vérité : malgré les discours et les lois sur l'égalité, celle-ci n'avance guère et parfois même recule.

Deuxième point, et il me paraît particulièrement important : comme toutes les conquêtes sociales, les droits des femmes sont d'abord le résultat de mobilisations d'un mouvement de base, dont un éventuel Ministère, comme le travail de parlementaires féministes, ne peuvent être que le relais. Un mouvement qui aurait donc tout intérêt à une recompoistion autour de revendications partagées, sans enterrer les « sujets qui fâchent » mais sans les laisser empoisonner l'indispensable programme commun.


(Article paru dans la Revue Nouvelle, avril-mai 2014)

 

(1) On constate actuellement une exception avec une proposition de loi qui reconnaît la co-parentalité pour les lesbiennes, et pour elles seules. Mais on a échappé de peu, au nom de l'égalité, à la porte ouverte à une légalisation très contestée de la « gestation pour autrui » (les mères porteuses).

(2) Durée de carrière portée de 40 à 45 ans comme les hommes, au nom de l'égalité, ce qui n'a fait que creuser le fossé entre pensions des hommes et des femmes.

(3) Parce qu'elles provoquent moins d'accident, les femmes pouvaient bénéficier de primes plus basses. Au nom de l'égalité, c'est désormais fini.

 

Avis sur les propositions de loi discutée au Sénat concernant la filiation des co-parent/e/s

Nous nous trouvons devant deux propositions de loi établissant la filiation du/de la co-parent/e.

La proposition 1 est déposée par MM. Jean-Jacques De Gucht, Philippe Mahoux, Guy Swennen et Mme Christine Defraigne et consorts, la proposition 2 par Mme Els Van Hoof et consorts.

Les deux propositions ont pour point commun de vouloir répondre à une demande des couples lesbiens qui conçoivent un enfant par PMA : contrairement à ce qui se passe pour le père dans un couple hétérosexuel, celle qui n'est pas la mère biologique n'est pas automatiquement reconnue comme co-parente et doit passer par de longues et coûteuses procédures d'adoption.

Le législateur s'est engagé à gommer cette inégalité entre couples hétérosexuels et couples lesbiens.. Dans ce sens, la proposition de loi, qui « entend régler la protection juridique de l’enfant et du co-parent non plus via l’adoption mais en adaptant les règles de filiation existantes » constitue une réelle avancée.

Cependant, un point de la proposition 1 nous pose problème. En effet, dans sa volonté d'établir une stricte égalité entre couples d'hommes et de femmes, elle introduit subrepticement une possibilité qui est fortement contestée dans les mouvements féministes, à savoir la « gestation pour autrui » ou GPA, autrement dit les mères porteuses. Les auteur/e/s écrivent dans leurs développements : « La proposition de loi est neutre sur le plan du genre et s’adresse à tous les couples de même sexe qui, en recourant ou non à la procréation médicalement assistée, veulent s’engager dans un projet de parentalité dans le cadre de la vie de famille qu'ils prévoient ensemble ». Il s'agit donc d'étendre la présomption de co-parentalité non seulement à la co-mère d'un couple lesbien mais aussi au co-père d'un couple gay.

L'article 33 de la proposition de loi évoque d'ailleurs clairement le cas des mères porteuses, par le biais de la condamnation de toute pratique de commercialisation du corps des femmes, en prévoyant dans ce cas des peines aussi bien pour les intervenants médicaux, les parents commanditaires, les intermédiaires intervenant dans un but de lucre que pour la mère porteuse elle-même. A noter que dans cet article, les commanditaires et la mère porteuse seraient pénalisés de la même façon, alors même que les auteur/e/s reconnaissent qu'elle pourrait accepter un « marché » pas seulement par « goût de lucre » mais parce qu'elle serait en position de faiblesse : « Les règles relatives à la coparentalité ne peuvent être d’application si la femme qui accouche reçoit une contrepartie disproportionnelle ou est exploitée d’une manière ou d’une autre » Il ne nous paraît pas normal de prévoir les mêmes peines pour ceux qui abuseraient d'un rapport de force et celle qui y serait soumise.

Mais le problème de fond est ailleurs. Même en supposant que la gestation pour autrui ne fasse l'objet, dans certains cas, d'aucune sorte de rétribution autre que la couverture des frais encourus, et qu'elle soit « offerte » par pure amitié ou solidarité, nous considérons qu'on ne peut pas mettre sur le même plan un don de sperme et une grossesse de 9 mois, ni en termes d'implication personnelle, ni pour ce qui est des risques sur la santé, la vie professionnelle, ou d'éventuelles complications à long terme.

Nous comprenons bien le souci du législateur de préserver l'égalité entre gays et lesbiennes et de rendre la loi neutre du point de vue du genre. Mais il se fait que les situations ne sont pas du tout les mêmes. Nous reconnaissons que dans ce cas, de par leur impossibilité de porter des enfants sans passer par le corps d'une femme, les gays sont désavantagés par rapport aux lesbiennes ; mais on ne peut sacrifier ces « autres femmes » au profit des hommes. Il y a a tant de domaines où l'égalité entre hommes et femmes n'est pas réalisée, et pour des raisons bien moins justifiées ; peut-être les hommes peuvent-ils supporter cette inégalité-là, car son effacement implique l'instrumentalisation, fût-elle non commerciale, du corps des femmes.

La proposition 2 exclut de son côté ce recours au mères porteuses en indiquant que « La présente proposition de loi ne crée pas de statut pour les couples homosexuels. Nous reconnaissons qu’un enfant élevé par un couple homosexuel peut s’épanouir aussi bien que tout autre enfant et qu’il doit également pouvoir bénéficier d’une protection juridique identique. Toutefois, la situation de l’enfant d ’ un couple homosexuel n’est pas comparable à celle de l’enfant d’un couple lesbien. En effet, il est impossible qu’un enfant naisse d’un couple homosexuel. Dans ce cas, il faut en effet toujours une mère qui abandonne l’enfant. Le transfert de cet enfant requiert un encadrement particulier et minutieux du recours aux mères porteuses. Il importe de tenir compte de tous les droits et intérêts en jeu pour que l’enfant ne devienne pas l’objet de quelque transaction commerciale. C’est pourquoi des études doctorales sont actuellement menées à ce sujet. Nous estimons qu’il est important d’attendre les résultats de ces études pour ouvrir un nouveau débat approfondi à ce sujet ».

Même si cette précaution est recommandée au nom de l'intérêt de l'enfant sans se préoccuper de celui de l'éventuelle mère porteuse, il nous paraît qu'en effet, la GPA ne peut être introduite sans aucun débat de fond.

Nous demandons donc que toute allusion à la GPA soit retirée de la proposition de loi et que la co-parentalité en matière de PMA soit réservée aux lesbiennes.

 

Proposition 1 : http://senat.be/www/webdriver?MItabObj=pdf&;MIcolObj=pdf&MInamObj=pdfid&MItypeObj=application/pdf&MIvalObj=83890852

 

Proposition 2 : http://senat.be/www/webdriver?MItabObj=pdf&;MIcolObj=pdf&MInamObj=pdfid&MItypeObj=application/pdf&MIvalObj=83891047

 
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