Revue Nouvelle, Bruxelles Laïque Echos : deux dossiers sur le(s) féminisme(s)

Effet de #MeToo ou simple coïncidence, deux revues belges publient au même moment un dossier sur le(s) féminisme(s) : la Revue Nouvelle et Bruxelles Laïque Echos.

La différence saute aux yeux dès le titre : « Féminismes en lutte » (RN) face à « Le féminisme dans tous ses débats » (BLE). On constatera le singulier choisi par le BLE alors que, justement, puisqu'il s'agit de « débats », les féminismes pluriels semblaient s'imposer...

L'approche est également très différente. La RN se centre effectivement sur les luttes (comme celle des femmes en Pologne), en choisissant d'en rendre aussi la complexité, comme dans le très intéressant article d'Anne Lemonne et Christophe Mincke intitulé « La justice au service des femmes ? » (le point d'interrogation a toute son importance). Le BLE, lui, après avoir brossé un portrait très rapide, genre « le féminisme pour les nuls », choisit de consacrer deux articles aux « dérives » et « dérapages » du mouvement #MeToo ; et si le premier est encore argumenté, le second, intitulé « Maccarthysme porcin #NotMe », est un vrai torchon (tant qu'à insulter, allons-y), reprenant tous les poncifs sur la « guerre des sexes », la « haine des hommes », la « chasse aux sorcières », le « terrorisme langagier », et j'en passe... BLE a trouvé pertinent d'aller chercher dans une autre revue un texte digne des plus belles envolées masculinistes (1), et le bel article qui suit de Paola Hidalgo, « Ce féminisme qui mettrait la démocratie en danger », réfutant tous ces pseudo arguments, ne suffit pas à enlever le goût acide de la bordée d'injures qui précède.


Mis à jour (Lundi, 07 Mai 2018 20:04)

 

Serrage de main, foutage de gueule

Il était une fois un petit pays où l'égalité entre femmes et hommes était scrupuleusement respectée : aucun écart de salaire n'était toléré, le nombre de femmes tuées par leur (ex)compagnon avait drastiquement baissé, grâce à une politique proactive, la représentation des femmes en politique, dans les médias, aux postes de décision économique, était quasi paritaire, sans qu'on n'ait même besoin de quotas pour l'imposer, et même les tâches domestiques et de prise en charge des personnes dépendantes étaient également réparties...

Et voilà que dans ce (quasi) paradis, une bombe éclate : un candidat juif orthodoxe aux élections communales se révèle être non seulement juif, mais aussi orthodoxe, et comme tel, suivre les prescriptions plus ou moins officielles de sa religion. Scandale ! Indignation ! Des années et des siècles de combat, si largement partagé, revendiqué de gauche à droite en passant par l'extrême-centre, disparaissent dans les brumes funestes d'une main tendue ne recevant pas le moindre doigt en retour, même pas un doigt d'honneur : un seul geste vous manque, et tout est dépeuplé !

 

Tentations hétérosexuelles

Si vous avez suivi l'actualité belge, et plus précisément flamande, de la dernière semaine, vous aurez reconnu la situation décrite plus haut. A quelques détails près : cette égalité qu'un simple (non) geste pourrait mettre à mal, elle n'existe tout simplement pas. Et toute la focalisation sur le refus de serrer une main soupçonnée d'appartenir à l'autre sexe et d'induire d'impures tentations hétérosexuelles mériterait juste un gros éclat de rire.

Car finalement non, il n'y aura pas de juif orthodoxe sur la liste CD&V aux prochaines communales à Anvers. Le parti de Kris Peeters s'est ridiculisé en tentant le « débauchage » (le terme vaut son pesant de pensées impures) d'Aaron Berger, puis en le poussant à se désister non pas (du moins officiellement) pour ses positions réactionnaires en matière de mixité scolaire, d'avortement ou de mariage pour les personnes de même sexe, ni même pour avoir échappé de justesse à une condamnation pour escroquerie, mais juste parce que, malgré l'autorisation concédée par un rabbin, il s'obstine à refuser de serrer la main d'une femme autre que la sienne. Comme il est père de 9 enfants, on peut supposer qu'il ne se contente pas de lui serrer la main, mais ça ne regarde qu'eux deux.

A noter que le journal juif anversois Joods actueel s'est moqué de la « découverte » du CD&V, en lui suggérant de retirer de ses listes, en tant que défenseur intransigeant de l'égalité entre femmes et hommes, tous les candidats catholiques, tant que les femmes n'auront pas accès à la prêtrise...

Donc, exit Aaron Berger, et cette affaire de « serrage de main » a provoqué des débats assez incroyables en Flandre. « Incroyables » parce que ce sujet semble effacer toutes ses autres casseroles, incroyables parce qu'il a occupé trois soirs de suite la par ailleurs excellente émission d'information de la télé flamande, Terzake, sans compter les innombrables articles de presse, avant de déborder côté francophone dans un débat tout aussi « manuel » le dimanche midi sur RTL. Manque de respect, rejet de l'égalité, ou encore « Recul des droits des femmes » (Zuhal Demir)... La situation était apparemment grave. Bizarrement, je n'ai guère entendu une analyse aussi fouillée de ce que signifiait le refus des femmes de la même communauté (comme de certaines autres) de serrer la main d'un homme. Manque de respect ? Recul des droits humains ? Preuve d'intolérable soumission ? Ou les femmes, elles aussi, auraient des « tentations » ? Non, je ne peux pas le croire.

Bref, quand vous annoncerez à votre future employée qu'elle aura un salaire inférieur à celui de son collègue masculin, n'oubliez surtout pas de lui serrer la main : histoire de montrer votre attachement à l'égalité entre hommes et femmes.

 

Critère d'intégration

Ce n'est certes pas la première fois que la « poignée de main intersexe », comme le disait comiquement Christophe Deborsu, devient un critère d'intégration, et donc de pleine citoyenneté. En 2013, à la commune d'Ixelles, un employé a été sanctionné de cinq jours de retenue de salaire pour avoir refusé de serrer la main de son échevine. A la ville de Bruxelles, huit mariages ont déjà été bloqués parce que la future épouse refusait de serrer la main de l'échevin de l'Etat civil Alain Courtois. En France, récemment, une femme s'est vu retirer la nationalité française pour avoir « refusé de serrer la main du secrétaire général de la préfecture ainsi que celle d'un élu d'une commune du département qui étaient venus l'accueillir ; qu'elle a, par la suite, indiqué que ce refus était motivé par ses convictions religieuses ; que, dans ces circonstances, le Premier ministre s'est opposé à l'acquisition de la nationalité française par un décret du 20 avril 2017, au motif que le comportement de l'intéressée empêchait qu'elle puisse être regardée comme assimilée à la communauté française ».

Pour nous amuser, allons donc faire un tour sur le net, plein de ressources insoupçonnées. Ainsi, on peut découvrir dans la Libre cet article au titre intrigant : « Pour dire bonjour, évitez de serrer la main ». Injonction religieuse ? Pas du tout : « Une équipe de recherche médicale de West Virginia University affirme dans The Journal of Hospital Infection que “jusqu’à 80% des individus conservent, après s’être lavés les mains, sur leurs doigts et dans la paume des bactéries susceptibles de transmettre des maladies”. Pour eux, il faut donc cesser de se serrer les mains ».

La poignée de mains n'est jamais qu'une coutume, parmi beaucoup d'autres (s'incliner, échanger des regards, voir se frotter nez à nez...), venue d'un temps lointain où tendre la main droite indiquait à l'autre qu'on ne portait pas d'arme (pour le coup, les gauchers étaient avantagés). Aujourd'hui, c'est un geste qui peut encore signifier un tas de choses, l'amitié comme la domination – on se souviendra du « combat de poignées de mains » entre Trump et Macron. Si vous voulez vraiment que la vôtre soit parfaite (histoire de figurer sur la liste du CD&V, qui sait), exercez-vous à respecter ces quelques règles, également découvertes lors de ma navigation de hasard : « la main à mi-chemin entre vous et l’autre personne, une paume douce et sèche, une pression ferme, (mais pas trop), trois mouvements d’une vigueur moyenne et d’une durée inférieure à deux ou trois secondes, le tout accompagné d’un regard et d’un sourire ».

Tout cela serait simplement risible si l'on n'avait pas, une fois de plus, instrumentalisé les droits des femmes et noyé les revendications d'égalité pour glorifier « nos » valeurs et rejeter les « autres ». Et si cette farce ne servait pas, finalement, à renforcer la position à Anvers de Bart De Wever, qui pouvait déjà s'amuser des ennuis judiciaires du responsable local du SP.a, Tom Meeuws, ennuis qui ont sabordé le projet d'une liste commune avec Groen. De Wever peut ainsi espérer retrouver son poste de bourgmestre les doigts dans le nez – dans son propre nez, en tout cas, car on ignore si ses convictions lui permettent ou non de les fourrer aussi dans celui des autres.

 

 

PS : Et déjà un nouveau scandale pointe à l'horizon : toujours à Anvers, il existerait un accord entre la communauté hassidique et les publicitaires pour bannir des affiches pour de la lingerie des quartiers orthodoxes. Mais que font nos responnsables devant ce nouveau recul des droits des femmes et d'atteinte à nos valeurs (monétaires)... ?

Mis à jour (Lundi, 23 Avril 2018 17:50)

 

Violences faites aux femmes : pour ou contre ?

 

Signée par plus de 160 personnes, notre Carte blanche est donc parue dans le Soir du 5 mars 2018 (1). Elle est accompagnée des réactions des différent.e.s protagonistes, et c'est normal qu'on leur donne aussi la parole ; mais cela signifie que si les autres ont eu accès à notre texte pour y répondre, nous n'avons pas eu l'occasion de répliquer.

Je me permets donc de le faire ici, sans prétendre exprimer l'avis de tou.te.s les signataires, ni vouloir avoir le dernier mot, mais pour reprendre certains arguments que j'aimerais démonter.

Pour ce qui concerne Anne Morelli, précisons tout de suite qu'elle n'est pas « cible » de notre Carte blanche ; nous n'avons jamais refusé de débattre avec elle, je l'ai fait moi-même longuement sur Radio Campus et d'autres à la radio ou à la télé. Nous nous contentons de la citer parce que nous continuons à penser que, en dehors même des « outrances » de certaines de ses co-signataires, la tribune dite des « 100 » ou « Deneuve », qui défend le droit (des hommes) d'importuner (les femmes), n'est qu'un magnifique cadeau aux machistes de tout poil. Après, Anne Morelli peut nous faire des leçons de « sororité » (dans la Libre), c'est bien cette tribune qui dézingue ces femmes qui se prendraient pour de « pauvres petites victimes », quand il serait si simple de montrer de la compassion pour les pauvres « frotteurs du métro » et leur misère sexuelle, ainsi que pour ces malheureux qui ont perdu emploi et famille pour une main sur un genou (2).

Un autre argument qui m'énerve particulièrement, est celui-ci (extrait de sa réponse dans le Soir) : « Les gesticulations des vedettes du "star system" américain détournent l'attention des problèmes réels du quotidien des femmes. (...) Les féminicides du quotidien m'inquiètent davantage que la main aux fesses des millardaires américaines d'Hollywood. Les femmes vivent aujourd'hui, avec le détricotage de la Sécurité sociale, des violences économiques qui sont ma préoccupation première ». Non seulement c'est le coup classique des détourneurs d'attention, « pendant qu'on parle de ceci, on ne parle pas de cela », comme si l'un empêchait l'autre et alors même que de nombreux.ses signataires de la Carte blanche sont par ailleurs très impliqué.e.s dans les luttes sociales (à commencer par moi...) Mais là où elle n'est vraiment pas gênée, c'est dans son mérpis des « stars de Hollywood » alors que, que l'on sache, les chômeuses, femmes de ménage et autres ouvrières ne sont pas très nombreuses à avoir signé sa tribune à elle... Et elle pourrait peut-être revenir à plus de modestie en lisant ceci : « Le mouvement #MeToo donne de l'espoir aux ouvrières américaines ». Et pan, dit la « talibane » (pusique c'est le joli nom donnt elle nous affuble dans la Libre).

Passons à Enthoven, dont la présence, elle, est un motif de rupture pour le 8 mars (mais avec qui je suis prête à débattre en dehors, hein, Raphaël). Dans sa réponse, il assure : « « Croyez-moi : il y a plus misogyne que moi ! » C'est sûr, on peut toujours mieux faire. Il commence donc par citer ses états de services dans la dénonciation de violences faites aux femmes et même des preuves de son soutien à #MeToo et BalanceTonPorc. On le trouverait presque crédible et on se demanderait si on ne s'est pas trompées de cible, lorsqu'il ajoute : « BalanceTonPorc comporte aussi un risque d'amalgame et de chasse aux sorciers. Le fait qu'on range dans la même catégorie des dragueurs lourdingues et des prédateurs organisés en témoigne suffisamment. Le dire n'est pas combattre le slogan, mais le préserver de son dévoiement - comme Camus préservait la révolte du péril révolutionnaire ».

Waou, Camus, admirons déjà la modestie, pourquoi pas Gandhi ou Mandela !

Mais prenons l'argument de fond, le « dévoiement » et le refus des « amalgames ». Imaginez juste une femme qui s'est fait tripoter dans le métro, a dû subir la «drague lourdingue» d'un supérieur au boulot, s'est fait traiter de salope dans la rue parce qu'elle a refusé d'aller prendre un verre, et qui rentre chez elle, épuisée (d'autant que c'est régulièrement pareil). Que lui dirait notre brave philosophe ? « Ben quoi, t'as pas été violée par des prédateurs organisés, alors arrête ton char, hein ! Pas d'amalgames ! »

Je vous renvoie donc la question : quelle est la pertinence de payer le Thalys (et plus si affinités...) pour cet exemplaire parfait de « mansplainer » ou « mecsplicateur » (3) , justement à l'occasion du 8 mars, qui est, rappelons, la journée internationale des droits des femmes.... et pas celle de leur remise en cause ?

Plus largement donc, je maintiens que ce colloque est tout à fait déplacé : nosu ne refusons pas de débattre (4), mais pas en ce lieu et à cette occasion. Du Parlement nous attendons des mesures concrètes pour lutter contre ce « continuum des violences » que les féministes dénoncent depuis longtemps dans le désert et qui enfin, grâce au mouvement #MeToo, prend une certaine visibilité. Celles et ceux qui n'y voient que « risques de dérives » ou de « dévoiement », d' « amalgames », envoient aux femmes qui osent parler et commencent enfin à être entendues le message que de tous les « droits » pour lesquels elles se battront ce 8 mars, elles ont surtout celui.... de se taire.


(1) Deux pages « débats » y sont aussi consacrées dans la Libre du 6 mars

(2) Exemples repris de la fameuse tribune, si vous voulez la lire, il vous suffit de chercher un peu, ne comptez pas sur moi pour assurer sa diffusion...

(3) Terme désignant ces homes qui expliquent aux femmes ce qu'elles devraient faire, dire, penser, et qui se prennentn souvent pour des "féministes" hors pair (je ne dirai pas paire de quoi)

(4) A signaler aussi que les associations qui ont refusé de participer à ce colloque (Vie Féminine, l'Université des Femems et Garance) n'étaient même pas invitées à débattre avec Morelli et Enthoven : elles figuraient dans un autre panel

Mis à jour (Mardi, 06 Mars 2018 11:44)

 

Indignations intersectionnelles

Donc, Damso ne chantera pas l'hymne des Diables Rouges à la prochaine Coupe du Monde. Ou plutôt, la chanson que Damso a écrite pour cette occasion, à la demande de l'Union belge de football, sera écartée, pour des raisons éthiques, de cette grande fête de millionnaires tapant sur un ballon dans le pays de Poutine, dont on connaît le souci pour les droits humains. Là où notamment les LGBT+ doivent se cacher pour (sur)vivre et où les peines pour violences conjugales viennent d'être allégées (réduites à de simples amendes).

Après des mois de refus d'entendre des associations féministes portestant contre le choix de Damso, l'Union belge a fini par céder aux pressions de sponsors très préoccupés par les droits des femmes, comme Carrefour qui s'apprête à en renvoyer plusieurs centaines dans leurs foyers ou Inbev, propriétaire des « hommes savent pourquoi » et grand bidouilleur d'ingéniérie fiscale, qui lui permet de payer un minimum d'impôts et de contribuer le moins possible à la redistribution des richesses, qui concerne particulièrement les femmes (1).

 

"Censure" et "racisme"

Après une telle introduction, je me suis déjà mis à dos la moitié de mes amies féministes, car ce sont elles qui ont dénoncé le choix de Damso, même si leur avis n'a pas beaucoup pesé avant que les sponsors, puis quelques politiques bien droitiers, ne s'en mêlent . J'entends par contre les applaudissements sinon des fans du rappeur – ils ne doivent pas être nombreux à me lire... - du moins de celles et ceux qui, depuis la reculade de l'Union belge, crient à la « censure », au « racisme » et au « classisme », voire à la mort de leur chère « liberté d'expression ».

Il est donc temps de les agacer aussi...

D'abord, il n'y a aucune « censure » : Damso va continuer à vendre des CD et à monter sur scène, avec parfois l'appui de ces mêmes sponsors (hypocrisie soulignée par plusieurs articles de presse – mais j'y reviendrai plus loin). Certes, je me suis permis de critiquer une stratégie qui, outre qu'elle fait une pub d'enfer à Damso, consiste à s'adresser, comme garants de l'éthique, à des multinationales dont j'ai déjà dit plus haut à quel point ils se préoccupent des droits des femmes (et des droits humains en général, en dehors de leur droit de faire du fric sur tout et n'importe quoi). C'est leur donner le droit, sinon le devoir, d'intervenir dans les choix des artistes : et si demain ils font pression pour écarter une oeuvre trop « subversive » ? On leur aura donné un bâton pour se faire battre. Cependant, malgré toutes ces réserves, je trouve totalement déplacé de parler dans ce cas-ci d'atteinte à la libeté d'expression : personne ne demande que Damso soit « interdit », juste qu'il ne représente pas tout un pays, qu'on suppose uni derrière son équipe de millionnaires (dont pratiquement tous jouent à l'étranger, tellement ils aiment ce pays qui les adule).

Ensuite, l'accusation de « racisme » ou de « mépris pour le rap, culture populaire ». Pour le racisme, rappelons tout de même Orelsan, que sa « blanchéité » n'a pas protégé d'une plainte en justice (où il a été relaxé) et d'une série de déprogrammations, avant que les Victoires de la Musique n'en fassent leur héros cette année. Des féministes continuent à protester partout où il passe.

Damso n'est donc pas visé parce qu'il est noir. On fait aussi un mauvais procès aux féministes en prétendant que pour elles, le sexisme ne se nicherait que dans le rap. On leur rappelle évidemment Sardou, qu'on peut haïr ensemble puisqu'il est de droite, et ses « Villes de grande solitude » où il exprimait notamment son « envie de violer les femmes »... Avec l'inévitable commentaire « et personne ne s'offusque de... »

Ce n'est pas parce qu'on est trop jeune pour être au courant ou que certaines indignations sont plus médiatisées que d'autres, qu'on peut agiter ainsi ce « personne ne s'offusque » qui est tout simplement faux. On s'est tellement « offusqué.e.s » contre Sardou que certains de ses concerts, notamment à Forest National, ont donné lieu à des manifestations (je le sais, j'y étais, et là on aurait pu parler de « censure », car le but était bien de l'empêcher de chanter.. sans succès d'ailleurs, et je dirais heureusement...). Et il faut être sourd.e pour prétendre que jamais, au grand jamais, des féministes n'ont pointé la détestation des femmes de certaines grandes pointure du rock ou de la chanson (à commencer par Brel...) Ou encore, ce qui sera sans doute moins populaire auprès de mes camarades de gauche, la misogynie revendiquée de ce grand « anar » de Léo Ferré, celui qui disait (dans des interviews, pas des chansons « fictionnalisées ! ») « je hais les femmes cultivées ! », et autres joyeusetés. Tous ces hommes auraient pour « excuse » d'avoir été blessés, trompés, abandonnés par d'horribles mégères. Sans doute aurions-nous plus d'indulgence pour tous ces hommes brisés qui crient leur douleur s'ils n'étalaient pas avec tant  de complaisance des envies de viol ou de meurtre, qui sont hélas des réalités pour bien des femmes, justement de la part de leur compagnon et justement, souvent, après une (menace de) séparation... (2)


Une autre « punchline »

Au fait, et Damso, ce grand poète... ? Je serais curieuse d'écouter une compilation de chansons où ne figurerait aucun de ces termes : couilles, niquer, cul, baise, pute. C'est moins de la « pudibonderie » que de la lassitude, comme à l'écoute de ces autres où l'omniprésence de fleurs, de ciel, d'arbres, d'enfants ou d'ahahahamour, finit par me donner à moi aussi des envies de meurtre (mais je les garde pour moi).

En conclusion : en tant que féministe, je ne peux que trouver insupportables des paroles teles que celles-ci : « J'aime la violence et voir le sang qui coule. Entendre mes ennemis dire "pardon", sans leur pardonner. Baiser leur meuf en transmettant la chtouille. J'suis très méchant quand couilles tu me les casses (putain). J'pourrais t'égorger, te voir vider de ton sang, finir mes jours en prison. Sans jamais regretter mes actes ».(3)

Alors certes, Damso a déjà répondu « Je m'en bats les couilles de l'exemple que je donne au jeunes / J'suis pas éducateur, fais tes sous et ferme ta gueule » (Ipséité), c'est son droit en tant qu'artiste, et ce qu'onn appellerait ailleurs « incitation à la violence » porte ici le nom inoffensif de « punchline». Mais  je me demande quand même si une « punchline» en sens inverse pourrait avoir le même succès. Allez, je me lance : « J' vais t'arracherr les couilles / t'les enfoncer au fond de la glotte/ Puis j'te défoncerai la bouille/ En chantant cut cut cut...» Bon d'accord, je n'atteins pas le même niveau de poésie, mais l'idée y est. J'espère que les sponsors me suivront.

 

 

 (1) Parce que leurs revenus directs sont plus bas que ceux des hommes, et que les services publics dont particulièrement importants pour elles : comme travailleuses, comme utilisatrices et aussi comme « compensatrices », car c'est sur elles que retombent les responsabilités des services qui ne sont plus rendus collectivement (notamment en matière d'éducation, de santé, de prise en charge de persones dépendantes...)

(2) D'après les chiffres de Stop Féminicide, 39 femmes tuées en Belgique en 2017 et déjà 11 en un peu plus de deux mois en 2018

(3) A noter que Damso n'exprim epas seulement son mérpis dans ses chansons. Dans cette interview, en « explication de texte », il répète  à propos d'une femme qu'il « l'a baisée comme uen chienne », expression dont, je l'avoue, le côté poétique m'échappe quelque peu

 

PS : Et pourtant si, on peut faire autrement, on peut changer d'avis, on peut prendre conscience des dégâts qu'on pourrait faire et essayer de se rattraper, sans perdre ni la face, ni...

"Je crois qu'il est grand temps que les pédés périssent", lançait en 2010 Maître Gims dans "On t'a humilié". Il n'en fallait pas plus pour que le groupe doive s'expliquer devant la presse, voit son partenariat avec NRJ annulé ainsi que de nombreuses dates de concert. "Ces textes ont été écrits lorsque nous étions adolescents mais cela ne justifie rien...", se désole alors Lefa.

Pour contrer la polémique, la maison de disque de Sexion d'Assaut invite le groupe à s'impliquer dans la lutte contre l'homophobie. Les titres incriminés ne sont plus chantés sur scène, les albums retirés des bacs, et des places sont offertes aux militants LGBT pour qu'ils puissent eux-mêmes vérifier que l'homophobie a été poussée hors de scène. Le groupe doit même distribuer à leur public des tracts prônant la lutte contre l'homophobie et les autres types de discrimination.

(extrait de la Libre, 15 février 2018)

Malheureusement, aujourd'hui encore, le sexisme est beaucoup mieux toléré que le racisme ou l'homophobie....

Mis à jour (Lundi, 12 Mars 2018 15:09)

 

Avocats de "diables"

En demandant l'acquittement pour Salah Abdeslam pour « vice de forme », son avocat Sven Mary pouvait espérer devenir l'homme le plus haï de France et de Belgique, et même au-delà. Mais voilà qu'apparaît sur le devant de la scène un concurrent sérieux, en la personne de Bruno Dayez, l'avocat qui ose demander la libération d'un autre « diable », dans un livre au titre provo-évocateur : « « Pourquoi libérer Dutroux ? ».

Les deux sont accusés de vouloir faire les malins pour attirer sur eux les feux de la gloire, à défaut de ceux de l'amour. Soit. Peut-être que certains ne rêvent que de se faire détester, insulter, menacer, eux et leurs proches. Il y a peut-être un plaisir mauvais à se sentir « le meilleur », seul contre tous. Mais quelles que soient leurs intentions et même, quoi que l'on pense sur le fond de leurs arguments, ils posent de vraies questions : l'un sur les limites de cet « Etat de droit » qu'on invoque tant quand il nous protège (mais moins quand il nous entrave), l'autre sur le sens de la « peine », de l'enfermement, de la mise au ban définitive de la société.

C'est sûr que moi non plus, quand j'écoute mes tripes, je n'ai aucune envie d'imaginer Abdeslam et Dutroux libres – à moins de les mettre face à face en espérant qu'ils s'entretuent. Et moi aussi j'ai ressenti un haut-le-coeur en entendant Bruno Dayez dénoncer les « conditions épouvantables, inimaginables, apocalyptiques » dans lesquelles on laisserait « pourrir » son client. Il suffit de repenser aux conditions dans lesquelles lui-même a laissé « pourrir » ses victimes avant de les tuer, sort auquel lui-même échappera - et c'est heureux.


Mis à jour (Jeudi, 15 Février 2018 10:34)

 
Plus d'articles...