Radio-Cynik

Donc, en bref : à ma droite, Arcelor Mittal, 1,2 milliards de bénéfices, 496 euros d'impôts, 1300 emplois menacés. A ma gauche (si j'ose dire) : Caterpillar, 4 milliards de bénéfices, 3% d'impôts, 1400 licenciements annoncés. Et on ne parle que des emplois directs.

Mais alors que Lakshmi Mittal est largement traité de « voyou » (il est un peu basané, aussi), l'amaigrissement imposé à Caterpillar est qualifié de « catastrophe ». Comme si une météorite était tombée sur l'usine ou si l'actionnaire s'était endormi au volant. Ben non. Je vais vous livrer un scoop : tout ça, ce sont des décisions humaines. Prises par des humains et approuvées par d'autres humains, au profit de certains humains et au détriment d'autres.

Mais, comme nous avons la chance de l'apprendre grâce à notre radio de service public (1), Caterpillar a de meilleurs conseillers en communication. Deux d'entre eux étaient interviewés quant à la meilleure façon d'annoncer des licenciements sans écorner l'image de l'entreprise. Tout cela sans aucune distance, y compris de la part du journaliste (2). Cela n'a duré que quelques minutes mais il y a de quoi entretenir la flamme de la colère pendant plusieurs mois.


C'est sûr qu'en économisant le salaire de 1400 ouvriers et employés, Caterpillar peut se permettre d'engager quelques-uns de ces « spin doctors », comme on les appelle en politique. Quoique la conclusion de ces spécialistes pourrait représenter un coup dur pour la profession : finalement toute cette histoire de bonne image, on s'en tape, la preuve par Total, nul en communication mais premier en bénéfices. Parce que la comm ', c'est pour les gogos comme vous et moi : les investisseurs, les actionnaires, les gens sérieux, quoi, ne se basent que sur les chiffres.

On peut cependant imaginer, pour ces conseiller en comm', d'autres débouchés : par exemple, comment justifier la torture sans se priver de l'organisation de la prochain Coupe du Monde de foot; ou comment tuer père et mère et toucher des indemniés d'orphelin.

Maintenant, si vous voulez vraiment comprendre pourquoi nos médias médias aiment tant taper sur les syndicats « irresponsables » - sauf quand ils encadrent la colère des travailleurs (3), pourquoi ils aiment tant saluer la « dignité » des licencié/e/s avant de taper, très bientôt, sur ces chômeurs-profiteurs (les mêmes, en fait), ce petit texte de la grande journaliste que fut Françoise Giroud : "Journaliste, je dépends de ceux qui possèdent les journaux. (...) Attendre des représentants du capital qu'ils vous fournissent les armes pour s'élever contre une forme de société qui leur convient, et une morale qui est la leur, cela porte un nom : l'imbécillité. Mais la plupart de ceux qui travaillent dans les grands journaux sont en gros d'accord avec cette société et cette morale. Ils ne sont pas achetés. Ils sont acquis. La nuance est importante" (3).

(1) Ecomatin dans Matin Première, RTBF, vendredi 1er mars dans le journal de 7h30

(2) Une interlocutrice, qui a connu un patron convoquant par sms et licenciant en 30 secondes chrono, m'objecte ceci : « oui, que les entreprises apprennent à communiquer de manière humaine, même lorsqu'elles licencient, cela ne me paraît pas cynique mais indispensable. Cela dit, lorsque la comm ne sert qu'à protéger l'image de l'entreprise, et pas du tout à montrer de l'empathie vis-à-vis des travailleurs, c'est autre chose ». Outre que 1400 sms, ça serait long et cher, je m'inquièterais que l'on doive engager des « spindoctors » pour exprimer de l'empathie... si elle est réelle.

(3) Je lis comme titre de RTL : « Caterpillar: les syndicats auprès des ouvriers pour éviter tout dérapage ». Je déteste la violence mais je me demande si c'est bien le rôle des syndicats de « calmer les troupes »...

(4) Extrait de « Une femme libre », Gallimard, 2013

 

 

Mis à jour (Samedi, 02 Mars 2013 10:57)