Incroyable indulgence

« De l’homme aux lames à l’homme aux larmes »... Ce dimanche 17 février, au journal télévisé de la RTBF, on reste sans voix devant la poésie du journaliste sportif qui commence sa séquence par les « malheurs » d’Oscar Pistorius, athlète sud-africain aux jambes en fibre de carbone, arrêté pour avoir tué sa petite amie Reeva Steenkamp de quatre coups de feu, le jour de Saint-Valentin. Selon sa version, il l’aurait prise pour « un intrus ». On apprendra plus tard qu’il a tiré trois de ces coups de feu à travers la porte de la salle de bains où elle s’était réfugiée et qu’on a aussi retrouvé chez lui une batte de cricket couverte de sang. La version de la confusion avec un « voleur » ne tient pas.

Mais ce qui est le plus extraordinaire dans cette histoire, c’est l’incroyable indulgence des médias pour ce qui apparaît de plus en plus comme un meurtre avec préméditation. Certes, Pistorius est un athlète hors normes, médaillé des jeux paralympiques avant d’arriver, à force de volonté et d’obstination, à se mesurer aux Jeux Olympiques de Londres avec les athlètes valides. Mais les premières descriptions vont toutes dans le même sens : comment, un homme aussi gentil ? Aussi disponible ? Aussi accueillant ?

Et puis peu à peu, à mesure que les indices s’accumulent et l’accablent, c’est un autre portrait qui apparaît : celle d’un homme paranoïaque, obsédé par les armes, conduisant trop vite et souvent en pétard avec ses petites amies. L’une d’elles raconte comment il prétendait contrôler sa façon de s’habiller, de se comporter. Bref, le portrait-type de l’homme machiste et violent.

Du coup, le ton change : bon, Pistorius n’est pas un « gentil », mais faut le comprendre - il subissait une telle pression, le pauvre homme. Après l’incompréhension, les excès de la compréhension : dur dur d’être un athlète de haut niveau ! De plus, il aurait été sous l’influence de stéroïdes anabolisants, donc pas dans son état normal, ce qui excuse tout. Au fait, ce ne serait pas des produits dopants... ?

Ce n’est pas la première fois qu’un sportif célèbre s’en prend à sa femme. Il y a eu l’histoire hypermédiatisée de OJ Simpson, accusé du meurtre de son épouse et de l’amant de celle-ci, acquitté au pénal... mais condamné au civil. Mais il y en a d’autres. Laissons de côté les « petits délinquants », ceux qui ne font « que » tabasser ou recourir aux « services » de prostituées mineures – la pression, n’est-ce pas... - pour ne s’intéresser qu’aux meurtriers. Il n’en manquent pas.

Prenez Marc Cécillon, ancien international français de rugby. Retraité depuis 1999, il « tombe » dans l’alcool, la dépression... Air connu. Un soir de 2004, son épouse lui fait part de sa volonté de divorcer, ne supportant plus son infidélité et sa violence. Renvoyé de la fête, il revient une demi-heure plus tard pour lui coller cinq balles à bout portant. Condamné en première instance à 20 ans de réclusion criminelle, il voit sa peine ramenée à 11 ans en appel.

Plus connu encore, Carlos Monzon fut champion de monde de boxe dans les années 1970. En 1988, il est accusé du meurtre de sa seconde épouse. Il meurt dans un accident de voiture lors d’un congé pénitentiaire en 1995.

Bruno Souza est un ancien footballeur brésilien. En 2010, son ancienne petite amie et mère de son enfant disparaît. La police découvrira qu’il l’a fait enlever et séquestrer, après l’avoir déjà auparavant frappée et essayé de la faire avorter de force. D’après certains complices, le corps de la malheureuse aurait été découpé et jeté en nourriture aux rottweilers du sportif. Il est actuellement en prison en attente du jugement.

Jovan Belcher était un joueur de football américain professionnel. En décembre 2012, lors d’une dispute avec sa compagne, il prend une arme et tire sur elle à neuf reprises avant de se suicider.

« Champions et meurtriers », titre le Parisien en recensant ces quelques « faits divers ». Sans préciser que dans pratiquement tous les cas, ces (ex) champions qui auraient « pété les plombs » s’en prennent non pas à leur ex coach, des compagnons de déprime ou à un passant dans la rue, mais à leur (ex) compagne. En ne précisant pas non plus qu’il s’agit toujours d’hommes. Après de brillantes carrières, Justine Henin, Kim Clijsters, Tia Hellebaut font du théâtre ou des enfants ou au pire, des pubs pour des chaînes de pizzas. Elle ne massacrent pas leurs compagnons. Bizarre.

On ne peut s’empêcher de songer à ce député français, Jean-Marie Demange, qui a tué sa maîtresse qui voulait le quitter avant de se donner la mort : l’Assemblée Nationale a observé une minute de silence en son honneur – son honneur à lui. Décidément, pour les médias, les hommes violents restent avant tout des victimes. Et la construction d’un machisme qui tue n’est absolument pas analysée.

 

(paru sur le site de Garance, www.garance.be)