Fin du monde, côté rieurs

 

Donc, ce 21 décembre, le calendrier maya nous promet la fin du monde. Seul le village de Bugarach serait sauvé, sorte de Sodome et Gomorrhe à l'envers. Peut-être que Bugarach est le seul village au monde peuplé uniquement d'hétéros.

Les gens intelligents – disons des gens comme vous et moi – rivalisent d'imagination pour trouver la plaisanterie, le jeu de mots, la moquerie qui fera le « buzz ». Les médias qui manquent cruellement de moyens – et peut-être aussi de volonté – pour couvrir la vraie misère du monde envoient leurs plus fins limiers sur place où, faute de mieux, ils pourront toujours s'interviewer entre eux. Si d'ici ce soir, aucune secte ne tente un suicide collectif, si aucun « illuminé » ne s'immole par le feu devant les gendarmes venus en force pour prévenir toute forme d'égarement, ce ne sera pas faute de publicité. Les cinéphiles pourront intituler cette journée « Tu n'as rien vu à Bugarach ».

Nous allons donc vivre la fin du monde du côté des rieurs, des gens sérieux (ce sont les mêmes, pour une fois), de celles et ceux à qui on ne la fait pas, et tant pis pour les trouillard/e/s, les crédules, les petits enfants et les vieillards. Je me souviens de mes parents, personnes pourtant très rationnelles, que le bourrage de crâne sur le « bug de l'an 2000 » avait fini par effrayer pour de bon.

Ce matin, dans ma rue, deux ambulances étaient arrêtées devant un immeuble. Et tandis qu'à la radio, les gens intelligents se moquaient de nos peurs, je n'ai pu m'empêcher de penser à ces voisin/e/s, et aussi à tou/te/s les inconnu/e/s pour qui ce 21 décembre représentera pour toujours une vraie fin du monde, par la perte d'un/e proche. Un malheur personnel, anonyme, perdu dans une hilarité générale. Et donc, pour cette fois, je ne me sens pas du côté des rieurs.

                                                                                  

                                                                                                (Bruxelles, 21 décembre 2012)