Sexe, trahisons et autre babioles

Chez Femma, organisation flamande de défense des droits des femmes, on est plutôt contentes : en Flandre, « une commune sur quatre est colorée femme » (1). Dans 75 communes sur 308, les femmes représentent entre 40 et 60% des élu/e/s. Ce qui paraît normal avec des listes paritaires... On pourrait dire aussi, à l'inverse, que trois communes sur quatre présentent l'anomalie de compter moins de 40% de femmes au conseil communal. Mais soit : Femma préfère voir le verre au quart plein qu'aux trois quarts vide. Information aussitôt reprise par la presse, et triomphalement : « Vrouwen aan de top », titre De Standaard (2).

Pour ce qui concerne la Wallonie, on est passés en six ans de 31,8 à 34,8% de femmes élues. A cette allure, on peut espérer que la parité soit à peu près atteinte avant le débarquement des Martien/ne/s.

Et encore, ces « progrès » ne concernent que les conseillères communales : gageons que quand on parlera de postes d'échevin/e et plus encore de bourgmestres, la proportion de femmes fondra comme les glaciers de l'Antarctique. Plutôt que les « vrouwen aan de top » du Standaard, on retrouvera le « plafond de verre » relevé par Martine Maelschalck dans l'Echo (3) : pas étonnant que ce soit relevé par une femme, de surcroît la seule rédactrice en chef d'un grand quotidien francophone (si je ne me trompe). Pour prendre l'exemple d'Ecolo-Groen, certainement les deux partis les plus sensibles (ou les moins insensibles) à l'égalité hommes/femmes, leur progression se traduit par la désignation de 8 bourgmestres (un à Bruxelles, deux en Flandre et 5 en Wallonie : 8 hommes.

Ce « plafond de verre » existe donc bel et bien, quoique l'expression ne soit pas satisfaisante. Elle suggère en effet qu'il est « invisible », portant une part de mystère qui le rend d'autant plus difficile à franchir. Mais il n'est pas ni mystérieux ni invisible : il est fait de vaisselle, de lessive, de couches, de casseroles et de fers à repasser. Pas tellement « en verre » que ça, ou alors en verre sale.

 

Grandes trahisons ou petites tromperies ?

A Bruxelles, on a bien failli ne pas avoir une seule femme bourgmestre sur 19 communes. Finalement, il y aura quand même Françoise Schepmans à Molenbeek. Alors, heureuse... ? entends-je susurrer ironiquement à mon oreille, par ceux (et aussi celles) qui trouvent que vraiment, le sexe des responsabes politiques n'est pas plus pertinent que celui des anges.

Ben non, bien sûr que je ne suis pas heureuse. Pour avoir assisté à un débat entre les têtes de listes molenbeekoises, j'ai pu constater moi-même à quel point Moureaux pouvait être arrogant ou même méprisant, mais aussi que la qualité première de Françoise Schepmans était celle de contorsionniste, tentant de surfer entre les positions de son parti et ce que la salle avait de toute évidence envie entendre (soit exactement le contraire). J'ai entendu aussi que les positions d'Ecolo et même du CDH avaient peu de points communs avec celles du MR. La façon dont Ecolo est entré dans cette majorité – et l'a rendue ainsi possible - me met en rogne. La seule explication que j'entends étant : « On voulait l'Olivier mais il a été rendu impossible par la position du CDH, donc on n'avait plus le choix... » Mais si, bien sûr, Ecolo avait le choix, celui d'une opposition forte contre une politique qu'on imagine sécuritaire, ciblant les filles portant le foulard et les « assistés », gibier préféré de Charles Michel (4). Le CDH ne sort pas grandi non plus de ce jeu (« ton frère a mal parlé à ma soeur alors tu n'auras pas mes billes »), pas plus que le PS qui a choisi le MR comme partenaire à Bruxelles-Ville, sous prétexte de mener une politique plus sociale, à en croire Yvan Mayeur !

Cela dit, le terme de « trahison » lancé à tout bout de champ me paraît bien trop grand pour la petitesse des faits. On est moins dans la tragédie grecque que dans une triste comédie, dans la politique de plus bas niveau. Toutes ces bouderies et ces coups fourrés font le jeu du MR, lui déroulant le tapis rouge pour 2014, mais serviront surtout l'anti-politique. Nos responsables, toutes tendances confondues, feraient bien de s'interroger davantage sur l'explosion du nombre de non-électeurs. Qui ne s'explique pas seulement par l'assurance de ne pas être poursuivis...

 

Discrimination positive... en faveur des hommes

Cette parenthèse refermée, revenons aux femmes. Ce fameux « plafond de verre (sale) » semble donc bien exister, encore et toujours, dans le monde politique comme dans bien d'autres domaines. On doit bien constater que là où il n'y a pas de quota, il n'y a pas de femmes (ou si peu). Je précise que pour moi, les quota sont un mal nécessaire, qui ne représente pas une quelconque « discrimination positive » en faveur des femmes, mais une façon (bien imparfaite, certes) de limiter la « discrimination positive » en faveur des hommes. Discrimination qui ne dit jamais son nom mais qui est pourtant bien ancrée en faveur des groupes dominants. Cela vaut aussi d'ailleurs pour l'origine, la couleur de peau, l'orientation sexuelle ou la classe sociale.

On pourrait penser que le niveau communal est le plus proche des rôles assignés aux femmes : on n'y décide pas de choses sérieuses comme la guerre ou la sort de l'Euro, on y parle d'enfants, de vieux, de propreté, de bouclage de fin de mois. Or même là, les femmes manquent à l'appel.

Certes, les quota sont difficilement applicables quand il s'agit de désigner les têtes de listes, et sont tout à fait hors de propos en ce qui concerne le choix des électeurs/trices. Apparemment, les voix de préférence (5) se dirigent aussi plus souvent vers des candidats masculins, ce qu'on peut expliquer par des qualités propres, certes, mais aussi par des préjugés, une capacité différente de se mettre en avant ou encore par l'existence de réseaux personnels auxquels les femmes ont moins accès que leurs collègues masculins.

On peut aussi souligner toute la chaîne qui va de l'éducation aux médias, où une sous-représentation systématique des femmes (autres que les « stars » ou les « femmes de... ») fait passer le message insidieux que les responsabilités publiques ne sont pas faites pour elles (6). Quand aulendemain des élections le quotidien gratuit Métro publie en Une cinq photos de personnalités qui comptent vraiment et qu'il s'agit de cinq hommes, le message implicite est ravageur. Quand la RTBF, constatant la sous-représentation de femmes interviewe une bourgmestre (élue à sa grande surprise pour avoir eu plus de voix que sa tête de liste) et l'interroge sur la difficulté à concilier son mandat, sa profession et sa famille, elle ne fait que renforcer les stéréotypes. Guère interrogés sur ce sujet, les hommes n'auraient donc pas de famille ? Eternelle histoire.

Pour changer les choses, il ne suffit donc pas de répéter que « l'égalité est une valeur fondamentale de nos sociétés », il faut une véritable volonté politique, avec des mesures fortes. On peut imaginer par exemple une présidence de tous les partis en binôme comme chez Ecolo – mesure nécessaire bien qu'insuffisante (actuellement, tous les autres partis, flamands comme francophones, sont présidés par des hommes). Imposer que le/la bourgmestre et le/la premier/e échevin/e soient de sexe différent. Qu'on ne vienne pas avec l'éternel argument du « manque de femmes compétentes » : quand on les cherche, on les trouve. Peut-on dire que la Suède, qui a porté très loin la parité au niveau des responsabilités politiques, est tellement plus mal gérée que notre Wallonie (qui ne compte qu'une seule femme au gouvernement, rappelons-le) ?

Mais pour commencer, il faut reconnaître le problème. On ne peut s'attaquer à une maladie sans avoir posé le diagnostic. Non, les inégalités ne concernent pas seulement les « autres »... (vous savez, là-bas, quelque part entre l'Afghanistan et Molenbeek....) Non, il n'est pas normal qu'une moitié de la population participe si peu aux responsabilités publiques. Oui, il faut développer un effort de formation particulier pour les femmes, pas seulement en termes de compétences et d'expertise, mais aussi pour tout ce qui concerne leur confiance en leurs propres capacités. Sans quoi, dans six ans, on fera le même constat. Avec un ou deux pourcents de différence, au mieux...

 

 

 (1) « Een gemeente op vier kleurt vrouw ». Voir www.femma.be

(2) De Standaard du 16/10/2012 : « Les femmes au sommet

(3) L'Echo, 16/10/2012

(4) En plus, selon le Soir, tout cela aurait été négocié entre présidents du MR et du CDH... pendant qu'Ecolo attendait le résultat en faisant la fête à Watermael-Boitsfort ? Voir  http://www.lesoir.be/100805/article/actualite/belgique/communales/2012-10-17/molenbeek-%C2%AB-un-accord-entre-pr%C3%A9sidents-du-mr-et-du-cdh-%C2%BB

(5) De Standaard, 16/10/2012

(6) Voir par exemple l'excellent article sur le site (paritaire) lesnouvellesnews.fr, qui par d'une étude anglaise sur la surreprésentation des hommes dans les médias comme éditorialistes, comme experts ou comme sujets d'articles, pour conclure qu'il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les femmes ne soient pas mieux plus présentes dans les sphères de décision : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/cafouillage/66-sexisme-ordinaire/2237-royaume-uni-84-hommes-a-la-une

 

Mis à jour (Mercredi, 17 Octobre 2012 14:54)