Tu seras une pro, ma fille!
En ce mois de juillet, le sport de haut niveau se met au féminin. Championnat d'Europe de foot, Tour de France femmes, avec retransmissions en direct à la télé, commentaires et interviews dans les émissions d'information. De quoi réjouir mes amies féministes et décupler leur énergie pour réclamer davantage d'égalité, en matière de conditions d'entraînement, d'équipement, de salaires et de primes.
Et il y a du progrès à faire ! Il y a bien sûr le gouffre entre les revenus des unes et des uns, mais aussi des disparités tout à fait basiques pour la pratique d'un sport. On se souviendra qu'il y a un an à peine, les footballeuses de Rennes se sont entraînées en culotte pour protester contre une inégalité flagrante, comme l'expliquait l'une d'elles : "Normalement, pour les équipes qualifiées en Coupe de France, à partir d'un certain nombre de tours dans la compétition, les joueurs reçoivent un équipement complet spécifique maillot-short-chaussettes, mais nous les filles, on ne reçoit qu'un maillot". Et l'article de conclure sur un clin d'oeil: "Pour la petite histoire, le manque de short à l'entraînement n'a pas gêné les joueuses, les maillots fournis étant suffisamment longs car ... coupés pour des hommes."
Salarié·es et bénévoles
Si de fait le sport féminin acquiert enfin de la visibilité, si on peut s'en réjouir ne serait-ce que par l'exemple donné aux petites filles en leur ouvrant tous les possibles, si l'on peut soutenir celles qui se battent pour davantage d'égalité, deux questions semblent pourtant échapper aux débats actuels.
La première : le sport masculin de haut niveau, avec ses magouilles, sa déferlante de fric, son nationalisme.... doit-il vraiment servir de "modèle" sur lequel les sportives devraient s'aligner ou du moins s'en rapprocher le plus possible ?
La deuxième, plus fondamentale encore : est-il si "évident" que le sport doive être professionnalisé ? Donner lieu, en dehors des primes liées à une performance, à un "salaire", alors même que d'autres activités, bien plus utiles socialement, se font tout aussi "évidemment" à titre bénévole ? Est-il plus "juste" d'être payé·e pour rouler à vélo, taper dans une balle, sauter ou courir que, pour prendre des exemples au hasard, donner des cours pour apprendre à lire, écrire, parler la langue du pays, du rattrapage dans des écoles de devoir, rendre visite à des personnes malades ou isolées, écouter des personnes en perdition, accueillir des demandeur·ses d'asile...? Toutes activités qui font largement appel au bénévolat sans lequel elles seraient tout simplement impossible, et qui mériteraient quant à elles un bien meilleur sort?
Alors bien sûr, je comprends qu'il soit difficile de s'entraîner sérieusement après une journée derrière la caisse d'un supermarché, sur un échafaudage, courant entre des lits d'hôpital ou même derrière un bureau. Peut-être pourrait-on imaginer des facilités d'emploi à temps partiel et flexible, avec compensation financière (et pourquoi pas aussi pour des artistes?); ou mieux encore, on peut rêver, une organisation sociale où le travail ne serait qu'une des activités parmi d'autres, où la fameuse "conciliation" entre le professionnel et le privé ne serait pas seulement destiné à permettre aux femmes de s'occuper du ménage et des enfants
Certes, une telle organisation ferait sans doute baisser le niveau des performances. Et... alors? Serait-ce si dramatique? Peut-on rappeler que jusqu'en 1981, le Jeux Olympiques étaient officiellement fermés aux professionnel·les (même si la notion d' "amateurisme" connaissait bien des écarts)?
L'égalité... avec quoi?
En tout cas, il me semble que d'un point de vue féministe (mais pas seulement), il serait intéressant de réfléchir à une autre approche, plutôt que de se contenter de courir après une égalité sans même se demander "égalité avec quoi ?"
J'en reviens donc toujours à cette formule de ma chère Françoise Collin : le féminisme, est-ce "le devenir hommes des femmes, ou le devenir autres des hommes et des femmes ?" Pour mon féminisme à moi, la réponse estassez claire.