Après la Gay Pride, un peu de gay modestie ?

 

Si quelque chose a changé en Belgique pour les gays et les lesbiennes, plus que le mariage, plus que le droit d'adopter, c'est la façon dont les grands médias parlent d'homosexualité et d'homophobie. En dénonçant les agressions, en montrant une image moins caricaturale de la Gay Pride, en présentant sans hostilité des familles homoparentales... Un coup de pouce précieux contre des préjugés qui sont encore trop répandus.

Ce qui n'a pas changé, par contre, c'est l'invisibilité des lesbiennes dans ces mêmes médias.

Le meurtre d'Ihsane Jarfi a sans doute contribué à secouer les consciences, même si certains en profitent pour insister sur l'homophobie des « allochtones »... alors que justement, Ihsane était d'origine marocaine et ses agresseurs pour la majorité « bien de chez nous ». Le racisme mange vraiment à tous les râteliers, même les plus pourris.

Mais comment se fait-il qu'on n'ait guère entendu parler - ou si peu ! - de cette jeune fille de Virton battue et violée par son père qui, découvrant son homosexualité, voulait lui apprendre ainsi les joies du droit chemin (1) ? Le père vient d'être condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, mais voilà une histoire qui n'a guère conscientisé les esprits quant aux spécificités de la lesbophobie. Violer une lesbienne n'a apparemment pas la même gravité que « casser du pédé » . Et qu'on ne dise pas que c'est exceptionnel. Les « viols correctifs » sont tellement « communs », en particulier dans un pays comme l'Afrique du Sud, que le terme a les honneurs de Wikipedia (2). Et si chez nous le phénomène semble très rare, c'est qu'il est extrêmement difficile pour des lesbiennes d'aller trouver la police ou la justice pour des agressions quand, en plus, elles se passent dans la sphère privée et sont le fait d'un proche. On sait que plus généralement, les cas de viol sont largement sous-estimés – des études avancent le chiffres de 10% de plaintes seulement. Il ne faut pas oublier que dans le premier grand procès pour viol en France, en 1978, les victimes étaient un couple de lesbiennes auxquelles des voisins de camping voulaient donner une bonne leçon (3).

Le « lesbian raping » est donc bien moins visible que le « gay bashing », ce qui n'a rien d'étonnant quand on constate l'absence de lesbiennes - ou de femmes en général d'ailleurs – parmi ceux qui parlent de la situation des homosexuel/le/s. C'est d'ailleurs plus largement le cas de la lesbophobie, qui n'est pas réductible à l'homophobie.

Le 9 mai, la FGTB lance une campagne contre l'homophobie au travail : quatre orateurs, quatre hommes. Certains ont beau évoquer les « lesbigays », pas un mot de la spécificité de la lesbophobie. Former les délégués à repérer et combattre l'homophobie est une excellente initiative, à condition de ne pas oublier la moitié de la population – et des travailleur/se/s.

Le 13 mai, les débats dominicaux, aussi bien sur la RTBF que sur RTL, sont consacrés à l'homophobie. Et comme d'habitude, les plateaux sont squattés par des hommes : témoins, représentants d'associations ou... des religions, ils tiennent, bien sûr, des discours « universels ». Une seule femme sur les deux plateaux, la ministre de l'Intérieur et de l'Egalité des Chances, Joëlle Milquet, qui ne s'émeut guère de ce déséquilibre. Pas plus que les autres invités, pour qui l'invisibilité des lesbiennes n'est apparemment pas un problème (4).

Il y a là une forme d'arrogance gay, poussée à son comble lors d'un chat organisé par l'hebdomadaire le Vif le 11 mai (5). Là, les interlocuteurs sont deux, un homme et une femme, Jean-Jacques Flahaux et Zoé Genot. Et JJ Flahaux a cette phrase incroyable : « Le plus important est le grand soutien des femmes, car elles comprennent que leur combat est lié à celui des gays ». Voilà, c'est aux femmes de comprendre, par exemple quand le même Flahaux soutient la « gestation pour autrui » sans se demander une seconde ce qu'en pensent les gestatrices présumées. Les femmes « comprennent », en effet, ce qui n'est pas le cas des gays, malgré tout ce que le féminisme a fait pour déconstruire les normes de genre. A de rares exceptions près, les gays ne soutiennent guère les combats des femmes, ni pour l'égalité des salaires, ni contre les violences qui leur sont faites, ni pour l'individualisation des droits – non, ils ont préféré revendiquer le mariage, avec ses droits dérivés et ses privilèges !

Au fait, la Gay Pride s'est rebaptisée « Belgian Pride ». Histoire de faire place aux « autres », lesbiennes, bisexuel/el/s, transgenres, intersexes... ? Pas du tout : pour montrer son ouverture aux hétérosexuels. Et je mets volontairement ce terme au masculin, parce qu'homos, hétéros, même combat : comme le mâle est censé représenter l'entièreté de la condition humaine, le gay prétend résumer la condition homosexuelle.

Alors, amis gays, une suggestion : après la gay pride, un peu de gay modestie, ça ne ferait pas de mal. Pas pour retourner vous cacher : simplement, vous rendre compte qu'il y a des placards encore plus profonds que les vôtres et que ,pour qu'ils puissent s'ouvrir, il vous faudra quelquefois accepter de ne plus prendre toute la place. Nous ne lutterons que mieux ensemble, vraiment ensemble.

 

 

  1. http://www.tetu.com/actualites/international/belgique-battue-et-violee-par-son-pere-parce-quelle-etait-lesbienne-21512

  2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Viol_correctif

  3. Voir par exemple http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/gisele-halimi/

  4. Contactés sur Facebook, certains participants m'ont assuré avoir fait la remarque aux journalistes : dommage qu'ils ne l'aient pas répété pour les spectateurs/trices. Un autre a reconnu et regretté un certain machisme gay

  5. http://www.levif.be/info/actualite/belgique/homosexuels-non-a-la-dictature-du-tous-dans-le-meme-moule/article-4000094018470.htm

 

 

Mis à jour (Lundi, 14 Mai 2012 07:07)