"Cancel culture" contre "culture du viol"

Un spectre hante les réseaux sociaux : une femme couchée, les yeux fermés, tandis qu'un homme déguisé en prince s'apprête à déposer un baiser sur ses lèvres (avec ou sans la langue, ce n'est pas précisé).

On ne sait si la femme dort, si elle est dans le coma ou morte. Cette dernière hypothèse rendrait la scène franchement glauque. Dans les deux autres cas, de sommeil ou de coma, il s'agirait «seulement» d'un baiser sans consentement. Ce qui représente, de fait, dans la vraie vie, une agression sexuelle.

Deux journalistes américaines en ont fait la remarque dans un article, concernant une nouvelle attraction de Disneyland basée sur l'histoire de Blanche-Neige. Elles s'étonnent qu'à la fin du parcours de l'attraction, l'entreprise ait ajouté une scène intitulée «Le vrai baiser d'amour», soulignant qu'un vrai baiser d'amour peut difficilement être échangé quand l'une des deux personnes n'est pas en état de donner son accord. Et c'est tout. Les deux autrices n'appellent pas au boycott, ni à la destruction de l'attraction, ni à la fermeture du parc : elles osent une critique.

Cela ne vaudrait pas la peine d'en parler si, sur les réseaux sociaux, tant de gens n'étaient montés sur les grands chevaux de la « cancel culture», et pas seulement les réacs patenté·es (en tout cas pas tentés par la nuance).

Les médias se sont à leur tour emparés de la polémique, en la reprenant dès le début.

Je n'y reviendrai donc pas. Juste quelques remarques.

 

Il serait une fois...

D'abord, pour celles et ceux qui hurlent au détournement de notre patrimoine («patrimoine» est bien le mot : un héritage venu des pères pendant que les mères préparaient à manger), qu'on se souvienne que les contes viennent de la tradition orale et que ceux (au masculin) qui les ont figés dans des textes y ont mis leurs propres choix idéologiques. J'ai ainsi appris en passant que les frères Grimm, dans leur recueil de contes, avaient inclus un certain «Le Juif dans les épines» où celui-ci est (évidemment) escroc et voleur. Le plus drôle étant que dans la version orale d'origine, le personnage n'était pas juif mais... moine. Comme quoi les contes sont adaptables aux préjugés et convictions de chacun (toujours au masculin dans ce cas).

Ensuite, pour les obsédé·es de la «cancel culture» qui menacerait la liberté d'expression (et surtout la leur) dès qu'un groupe minorisé ose une critique, on peut rappeler que cette critique relève aussi de la liberté d'expression (celle des autres). Titiou Lecoq l'explique brillamment dans sa chronique.

Enfin, au-delà même de la question du consentement, il y a l'image donnée de manière systématique par les contes d'une passivité féminine, celle de la princesse qui attend qu'un preux chevalier vienne la sauver. S'il semblera à certain·es excessif de parler d'une «culture du viol», on peut évoquer une «culture de la passivité»... qui participe, justement, de cette culture du viol. La femme attend, disponible, offerte.

Que dire alors de ce dessin de Coco, que ceux qui dénoncent la «cancel culture» brandissent comme une réponse pertinente à l'article des deux journalistes américaines ? Ce dessin (que je ne reproduirai pas ici, tellement je le trouve le déplacé ), faisant dire à un prince limite ridicule dans sa timidité (ou son respect): «Je... je... je peux t'embrassser?» et lui faisant répondre à elle : «Quel coincé... J'ai couché avec 7 nains, je te rappelle!» Message implicite : s'il y en a pour sept il y en a pour huit, pourquoi tu te gênerais ? Et au nom de quoi je pourrais refuser ?

Enfin, pour celles et ceux qui diraient que, plutôt que de s'acharner sur un imaginaire qu'on juge problématique, il est plus positif d'en construire un autre, je signalerai que c'est ce qui se fait : comme dans ce projet des Grenades (RTBF) consistant à réécrire les contes de notre enfance: «Il serait une fois».

Mis à jour (Mardi, 11 Mai 2021 10:49)