Avortement, foulard, même combat ?

 

Voilà un rapprochement qui peut paraître provocateur : pas certaine du tout que la plupart des femmes portant le foulard soient des militantes du droit à l'avortement, ni qu'une majorité de féministes qui ont fait des droits reproductifs des femmes leur jument de bataille soient prêtes à s'opposer aux diverses interdictions, aux études et à l'emploi, visant les femmes voilées.

Et pourtant, il s'agit bien du même combat : celui pour la liberté des femmes de décider de ce qu'elles font de leur propre corps, et du refus que d'autres leur imposent interdictions comme obligations, qui ne sont que les deux faces d'une même médaille patriarcale.

 

"Mon corps, mon choix"

L'actualité de ce début du mois de juillet a rapproché ces deux combats, avec d'une part un débat sur la dépénalisation « avorté » au Parlement et d'autre part, une manifestation imposante contre l'exclusion des femmes de certaines filières d'enseignement à cause de leur hijab.

Les deux sujets concernent les droits des femmes, sont très « chauds » en ce moment et provoquent bien des indignations... mais pas forcément du même côté. Pourtant, les points communs ne manquent pas. Et les arguments « pour » ou « contre » ne manquent pas de se recouper.

Prenons l'argument souvent brandi, y compris par des féministes, pour délégitimer le choix de se couvrir les cheveux. Comment, des femmes osent présenter leur foulard comme une liberté, alors que d'autres femmes,dans des pays comme l'Iran, se battent parfois au péril de leur vie pour avoir le droit de l'enlever ? Revendiquer ici ce qui est imposé là-bas suffirait à renvoyer ces "irresponsables" du côté de l'islam radical, si pas du terrorisme.

Revenons donc aux années 1970. Tandis que les féministes françaises se battaient pour le droit à l'avortement, d'autres femmes, vivant à l'autre bout du monde et pourtant tout aussi françaises, mais « racisées » comme on ne le disait pas à l'époque, se voyaient imposer stérilisations et avortements forcés. Cela se passait notamment à la Réunion. Ailleurs, des femmes roms ont longtemps subi diverses formes de « contrôle des naissances » sans leur accord, en Europe de l'Est et jusque dans la bienveillante Suède. Et aujourd'hui encore, en Chine, des femmes ouïghoures subissent les mêmes violences.

Quelle féministe défendrait l'idée que ces exemples, hélas non exhaustifs, exigent l'arrêt de toute mobilisation en faveur du droit à l'avortement (et son élargissement) dans nos pays ? La réponse est simple : « Mon corps, mon choix ». Imposer et interdire sont aussi inacceptables. Pourtant, cette évidence ne semble pas fonctionner pour tout le monde en ce qui concerne le foulard.

 

Ni pro foulard,  ni pro avortement, mais pro liberté

On pourrait pousser le parallèle plus loin. Dès qu'on évoque le foulard, le soupçon apparaît : peut-on parler d'un « vrai choix » de la femme concernée ? N'y a -t-il pas de pression familiale, sociale, ne s'agit-il pas parfois d'une condition pour « avoir la paix » plutôt que d'une véritable « conviction » ? Il m'a toujours paru absurde (pour ne pas dire « hypocrite ») de justifier l'exclusion de femmes par les pressions qu'elles pourraient subir, ce qui ne fait que les renvoyer à ces pressions en leur enlevant encore des moyens de se défendre, comme l'éducation ou l'indépendance financière. Je n'ai jamais compris la « logique » de l'émancipation par l'exclusion.

Mais revenons à l'avortement. Certes, le principe défendu est que « la femme décide ». Est-on sûr·e pour autant que cette décision est tout à fait « libre », prise sans aucune pression de l'entourage, jamais motivée par les réticences d'un compagnon ? Et les difficultés économiques qui poussent à certaines demandes d'avortement, qu'est-ce d'autre qu'une forme de « pression sociale » ? Pourtant, il ne viendrait pas à l'idée des militant·es pour le droit à l'avortement d'exiger davantage de « contrôle » sur la motivation des femmes ; au contraire, le but est d'affirmer un « droit » qui n'appartient qu'à la personne elle-même, qui devrait pouvoir déterminer si elle a besoin ou non d'un accompagnement pour les questions qu'elle se pose éventuellement.

 Jusqu'ici, j'ai surtout interpellé mes amies féministes qui défendent la liberté de choix en ce qui concerne la décision d'avoir ou non un enfant, mais la nient dès qu'on évoque le hijab. Mais mon regret va dans les deux sens : on retrouve encore moins de ces femmes si combatives pour le droit de porter le foulard dans les mobilisations qui concernent l'avortement. Je peux imaginer sans peine que pour certaines, leurs convictions religieuses constituent un frein. Cependant il ne s'agit pas d'être « pro avortement », comme il ne s'agit pas d'être « pro hijab », mais simplement « pro liberté des femmes de décider pour elles-mêmes ». On peut refuser l'avortement pour soi et pourtant en revendiquer le droit pour les autres, tout comme on peut se mobiliser contre l'interdiction du foulard sans le porter soi-même.

Combien nous serions plus fortes si nous arrivions à nous battre ensemble, plutôt que de nous ignorer, au mieux, et de nous opposer, au pire...

Mis à jour (Jeudi, 09 Juillet 2020 12:03)