Le Seder version UPJB

Une fois n'est pas coutume... et il y a aussi des coutumes sans foi. Ce texte est consacré au seder de Pâques, version UPJB.

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De ma culture juive, il y a une tradition (et c'est bien la seule en dehors des blagues) que je tiens à respecter chaque année, presque... religieusement : le Seder de l'UPJB.

C'est qu'à l'UPJB on fête Pâques, dans un mélange joyeux et grave d'histoire, de légendes et d'actualité ; qu'en rappelant comment nous aurions échappé à l'esclavage en Egypte en traversant la Mer Rouge, on n'oublie pas celles et ceux qui, aujourd'hui, risquent et parfois perdent leur vie en voulant échapper à la misère, à la guerre ou aux persécutions en tentant de traverser la Méditerranée ; qu'aux chants traditionnels, on mêle ceux de la Résistance, juive ou française (Le chant des Partisans, version « Motivés » de Zebda), de la déportation (Chant des Marais) ; qu'au rappel de notre histoire, on mêle des témoignages personnels comme celui, cette année, de Simon Gronowski, qui s'est évadé du Convoi n°20 du 19 avril 1943 qui l'emmenait à Auschwitz, où sa mère et sa soeur seront assassinées.

Et pendant toute la cérémonie, ce sont les jeunes de l'UPJB (et pas seulement les filles...), qui servent le (copieux) repas, remplissent les carafes de vin, avant de terminer la soirée sur une joyeuse sarabande.

J'aime aussi le seder de l'UPJB parce qu'il ne se fête pas qu'entre nous, que nous tenons à avoir des invité·es avec qui partager notre histoire, nos traditions (et notre gefilte fish).

Cette année, j'ai eu l'honneur d'être sollicitée pour raconter l'histoire d'Eliahou, personnage essentiel de la tradition de Pâques. Une histoire « améliorée » à ma façon, bien sûr. J'ai beaucoup improvisé dans mon intervention, mais à la demande générale (d'au moins deux personnes), en voici une version écrite.


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Eliahou Hanavi était un petit cultivateur du 9e siècle avant J-C, qui s'est opposé à la domination et la corruption de l'élite de l'époque (l'histoire ne dit pas s'il portait un gilet jaune). Il a donné le coup d'envoi à un mouvement populaire et créé une légende qui a traversé les siècles.

Avant de mourir, il s'est engagé à se réincarner une fois par génération pour se présenter à la porte des maisons, en la personne d’un·e pauvre ou d’une victime de l’oppression. Selon le traitement qui lui serait réservé, Eliahou saurait si la population avait atteint un niveau d’humanité lui permettant de participer à l’aube de l’âge messianique (donc attention à bien l'accueillir, il peut très bien réapparaître en femme, et même en femme portant le foulard!)

Ça c'est l'histoire officielle. Mais c'est là que, soudain...

Il y a une dizaine de jours, Eliahou m'est apparu. Non pas en rêve, c'est ringard ça, mais sur WhatsApp. Il m'a demandé : alors, comment ça se passe ici, vous avez atteint ce niveau d'humanité qui nous permettra de boire un verre ensemble... ?

J'étais surprise, vous pensez.

- Euh, Monsieur le messie, pourquoi me demander ça à moi... ?

- Eh bien, c'est parce qu'on m'a dit que tu te battais pour les droits des femmes, et que les droits des femmes, c'est essentiel dans la tradition juive pour mesurer le niveau d'humanité !

- Euh, monsieur le messie, si vous permettez, comme on dit ici : allez toi ! Depuis quand les droits des femmes comptent dans la tradition juive ?

- Mais depuis toujours ! Tiens, un exemple : #MeToo, tu sais que ça vient de chez nous ?

(Silence perplexe...)

- Mais oui ! C'est qui qui a lancé en premier le slogan « Balance ton porc » ? Hein ? Hein ?

(Silence encore plus perplexe, traversé de quelques rires).

- Donc je te le redemande : où en êtes-vous aujourd'hui ? Parce que c'est pas tout de sortir d'Egypte, maintenant il est temps de sortir du patriarcat !

 Et donc, selon la tradition, l'enfant le/la plus jeune remplit un verre de vin et le place derrière la porte, car s'il se décide à passer, Eliahou n'aura pas le temps de rentrer dans toutes les maisons. Et pour savoir s'il est passé, il faudra attendre la fin de la soirée...


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NB du lendemain : en sortant, je n'ai pas pensé à vérifier si Eliahou nous avait fait l'honneur de sa visite. Je crains qu'il ait pris peur en apercevant les policiers armés en faction devant l'immeuble. Car nous en sommes là...


PS : et après avoir écrit tout cela, je découvre que ce même 27 avril, en Californie, il s'est passé ceci : une fusillade dans une synagogue, une femme tuée, plusieurs blessé·es, par un suprémaciste blanc de 19 ans. Quoi qu'en ait pensé Eliahou (et mois aussi), la protection de la fête n'était pas, hélas, un luxe inutile...


Mis à jour (Dimanche, 28 Avril 2019 12:39)