Des genres et des couleurs
« Moi, je ne m'intéresse pas au sexe de mes invités, je les choisis juste sur leurs compétences ». « Moi, je ne regarde pas la couleur (l'origine, l'orientation sexuelle, le handicap... biffez les mentions inutiles), seulement la pertinence sur les sujets abordés ».
Combien de fois n'avons-nous pas entendu ces « justifications » lorsque nous protestions contre la n-ième tribune 100% masculine, le x-ième débat avec des plateaux unicolores blancs... ? Ce fut encore le cas ces dernières semaines, lorsque la RTBF débattait du racisme avec quatre personnes blanches à la table centrale, les racisé.es étant relégué.es dans le public (1). Réduit.es à la situation de « témoins », face à l'expertise blanche.
Masculin blanc universel
Quelques jours plus tard sur France Inter (2), une chroniqueuse relevait l'absence de lesbiennes dans le débat actuel sur l'accès à la PMA pour toutes les femmes. Justification : c'est un sujet qui concerne l'ensemble de la société ; et donc, on peut exclure les premières concernées...
On songe immédiatement à un débat qui a enflammé le milieu artistique cet été au Québec : la pièce « Slav », consacrée aux chants d'esclaves, interprétée presque exclusivement par des artistes blanc.hes. Et quelques mois plus tard, sous la direction du même metteur en scène, Robert Lepage, un spectacle basé sur l'histoire des autochtones... sans artistes autochtones. Si les protestations ont eu raison du premier spectacle, finalement annulé, le deuxième a été maintenu, après quelques flottements.
Il faut bien le constater : en ne faisant attention ni au genre, ni à la couleur, on invite « naturellement » en immense majorité des hommes blancs (valides, hétérosexuels, de classe moyenne ou supérieure...) à débattre de tous les sujets, en leur supposant une expertise universelle, alors que les membres de catégorie « particulières » ne peuvent s'intéresser qu'à leur propre cas, et encore, pas toujours, car il leur manque alors la « distance » nécessaire (dont disposent évidemment les hommes blancs...) Un (exceptionnel) plateau exclusivement composé de femmes est présenté comme « un regard féminin sur le monde », tandis qu'un plateau (banal) exclusivement masculin est « universel ». On peut encore le voir ce 28 septembre, où le concert organisé à l'occasion de la Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles est annoncé avec fracas « 100% féminin », alors que jamais une tribune, un plateau ou une scène ne sont annoncés « 100% masculins »... bien que ce soit très fréquent.
Un autre argument, plus délicat peut-être, également relevé par Sonia Devillers, et repris par Assita Kanko dans l'émission Medialog (3) : il ne faut pas confiner les minorisé.es dans les débats qui les concernent. Bravo, conclut la journaliste de France Inter, écoutons donc ce que les lesbiennes ont à dire sur la pollution ou la taxe d'habitation... mais curieusement sur ces sujets non plus on ne les interroge guère. Le but n'est évidemment pas de cantonner les « minorisé.es » (car pour rappel, les femmes ne sont pas une minorité...) dans les débats qui les concernent. Mais il faut bien constater leur absence ou leur rareté comme expert.es sur des sujets « généralistes ». Comme les comédien.nes noir.es qui devraient pouvoir jouer tous les rôles du répertoire, et pas seulement des personnages qui ont explicitement la même couleur de peau. Mais en réalité, ils et elles sont cantonné.es dans certains rôles, et on les exclut même des lieux où c'est d'abord d'eux, d'elles que l'on parle.
Lapins et chasseurs
« Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs » , tel est l'image frappante utilisé en introduction d'un film d'hommage à l'historien Howard Zinn, pour dénoncer l'omniprésence de la parole des dominant.es (4). Dans le cas qui nous occupe, on voit donc que même quand les lapins ont leurs historien.nes, ce sont tout de même les chasseurs qui sont mis à l'avant-plan pour parler de leur histoire commune. Et c'est à peine si on n'attend pas que les lapins les remercient humblement d'avoir posé leur fusil.
(1) A votre Avis, 12 septembre 2018
(2) France Inter, 27 septembre 2018, le7-9, chronique de Sonia Deviller
(3) Méadialog, la Deux RTBF, 26 septembre 2018
(4) Howard Zinn, une histoire populaire américaine, d’Olivier Azam et Daniel Mermet
Mis à jour (Jeudi, 27 Septembre 2018 09:04)