Le lion et la gazelle

C'était ainsi depuis le début des temps : les lions poursuivaient les gazelles, les gazelles fuyaient, certaines arrivaient à s'échapper mais la plupart se faisaient prendre, immobiliser, déchiqueter et dévorer par leurs prédateurs. Certains lions prétendaient même que leur servir de repas était, pour les gazelles, un honneur, ou encore« le plus vieux métier du monde ». C'était ainsi depuis le début des temps, et il n'y avait donc pas de raisons que ça change. Du moins de l'avis des lions.

Car il se fit qu'un jour des gazelles imaginèrent l'impossible : si au lieu de fuir chacune de leur côté elles faisaient face, si elles se mettairnt à gronder et utiliser leurs pattes et leurs dents comme elles l'avaient appris dans des cours d'autodéfense, peut-être qu'alors les lions y réfléchiraient à deux fois avant de leur tomber dessus. Et de fait, aussi incroyable que cela paraisse, les lions s'arrêtaient, décontenancés par une résistance inattendue, et après s'être pris quelques coups de griffes et de dents, s'en allaient tout penauds chercher leur nourriture ailleurs...

Certes tous ne devinrent pas végétariens et il y eut encore des pertes parmi les gazelles ; mais aucun animal n'aurait plus osé prétendre que c'était « la nature » et que l'égalité entre lions et gazelles n'était qu'une chimère de « gazellliste », comme on surnommait, d'abord par dérision puis avec respect, les militantes les plus décidées.

Une gazelle malmenée par un lion pouvait désormais porter plainte et le coupable était traîné devant un tribunal, parfois même condamné à être banni de la savane et enfermé dans un zoo, où même les enfants se moquaient de lui, de ses grandes dents inutiles et de sa crinière mal peignée. Les autres lions faisaient profil bas.

Et voilà qu'un jour, une nouvelle se répandit comme une portée de lapins : un lionceau avait été mordu par une gazelle ! Oui, sûre de son impunité, la vilaine avait planté ses crocs dans le tendre postérieur du petit fauve, dont la mère était occupée ailleurs. Pire que cela, l'agresseuse avait elle-même auparavant porté plainte contre un lion qui lui avait infligé des sévices dont elle gardait encore la trace.

Dès lors, sous prétexte de défendre le lionceau blessé, certains lions se déchaînèrent : « L'arroseur arrosé ! », proclamèrent-ils, « Telle est prise qui croyait prendre ! » ou encore, en plus élaboré, « Vous voyez bien, ce n'est pas une question de domination, juste des individus qu

C'était ainsi depuis le début des temps : les lions poursuivaient les gazelles, les gazelles fuyaient, certaines arrivaient à s'échapper mais la plupart se faisaient prendre, immobiliser, déchiqueter et dévorer par leurs prédateurs. Certans lions prétendaient même que leur servir de repas était, pur les hgazaelles, « le plus vieux métier du monde ». C'était ainsi depuis le début des temps, et il n'y avait donc pas de raisons que ça change. Du moins de l'avis des lions.

Car il se fit un jour que des gazelles imaginèrent l'impossible : si au lieu de fuir chacune de leur côté elles faisaient face, si elles se mettairnt à gronder et utiliser leurs pattes et leurs dents comme elles l'avaient appris dans des cours d'autodéfense, peut-être qu'alors les lions y réfléchiraient à deux fois avant de leur tomber dessus. Et de fait, aussi incroyable que cela paraisse,les lions s'arrêtaient, décontenancés par une résistance inattendue, et après s'être pris quelques coups de griffes et de dents , s'en allaient tout penauds chercher leur nourriture ailleurs...

Certes tous ne devinrent pas végétariens et il y eut encore des pertes parmi les gazelles ; mais aucun animal n'aurait plus osé prétendre que c'était « la nature » et que l'égalité entre lions et gazelles n'était qu'une chimère de « gazellliste », comme on surnommait, d'abord par dérision ouis avec respect, les militantes les plus acharnées.

Une gazelle malmenée par un lion pouvait désormais porter plainte et le coupable était traîné devant un tribunal, parfois même condamné à être banni de la savane et enfermé dans un zoo, où même les enfants se moquaient de lui, de ses grandes dents inutiles et de sa crinière mal peignée. Les autres lions faisaient profil bas.

Et volà qu'un jour, une nouvelle se répandit comme une traînée de lapins : un lionceau avait été mordu par uen gazelle ! Oui sûre de son impunité, la vilaine avait planté ses crocs dans le tendre postérieur du petit fauve, dont la mère était occupée ailleurs. Pire que cela, l'agresseuse avait elle-même auparavant porté plainte contre un lion qui lui avait infligé des sévives dont elle gardait encore la trace.

Dès lors, sous prétexte de défendre le lionceau blessé, certains lions se déchaînèrent : « l'arroseur arrosé ! », proclamèrent-ils, « telle est prise qui croyait prendre ! » ou encore, en plus élaboré, « vos voyez bien, ce n'est pas une squestion de domination, juste une histoire de bons et de méchants, une affaire strictement privée dont les gazellistes ont voulu faire une question politique ! »

Et les lions, tout contents de cette opportunité, se dirent que le temps de la revanche était venu et qu'ils pourraient revenir aux moeurs anciennes, sans que nul ne puisse encore leur reprocher une cruauté si largement partagée...

 

L'affaire Asia Argento

Voilà l'histoire qui m'est venue spontanément lorsque j'ai vu les réactions à l'information selon laquelle Asia Argento, l'une des premières accusatrices d'Harvey Weinstein, était à son tour mise en cause par un jeune acteur qu'elle aurait agressé sexuellement puis payé pour éviter des poursuites judiciaires. Ce qu'elle dément formellement – mais la plupart des agresseurs commencent aussi par démentir.

Pour les détracteurs du mouvement #MeToo, c'est évidemment une bénédiction. Ainsi le journaliste Franz-Olivier Giesbert écrit-il avec jubilation : « L’arroseuse arrosée. On ne se méfie jamais assez des marchands de vertu, des donneurs et des donneuses de leçons. Ce sont les pires ennemis de leur cause ».

A quoi une autre journaliste, Nadia Daam, répond : « On fait semblant de découvrir que l’on peut être victime ET bourreau, et qu’il est possible de lutter publiquement contre quelque chose dont on est soi-même coupable ». C'est toute sa tribune qui mérite d'être partagée comme réplique aux petits sourires en coin des ricaneurs.

Cette tribune est d'autant plus intéressante qu'elle interpelle aussi les féministes, en leur rappelant que « rien n'affaiblira #MeToo si on reste honnête intellectuellement » ou pour le dire autrement, si on garde une certaine cohérence. Si l'on a pris comme principe de croire les victimes en attendant que la justice tranche, parce que dénoncer ce type d'agression demande du courage, alors il faut éviter de mettre en doute la parole de Jimmy Bennet, l'accusateur d'Asia Argento. Si on estime au contraire que la présomption d'innocence doit rester primordiale, tant qu'il n'y a pas condamnation, alors il faut la respecter aussi lorsque l'accusé est un homme. En aucun cas, le sexe ou la réputation des protagonistes ne justifient que l'on change de position (1).

Ainsi, il m'a paru assez choquant de découvrir la tribune de soutien à la philosophe féministe Avital Ronnel, accusée d'agression sexuelle par un étudiant, « tribune rédigée par des chercheurs et chercheuses, dont Judith Butler, qui invoque «une campagne malveillante», mettant en avant la «stature» et «la réputation» de la philosophe comme si la célébrité ou un CV bien garni avaient déjà empêché quelqu’un d’être un violeur? C’est exactement la stratégie adoptée par Weinstein, DSK et leurs défenseurs: crier à la cabale, faire de l’accusé un parangon de vertu, se préoccuper des conséquences sur sa carrière, en avoir rien à foutre de la parole des victimes », come l'écrit Nadia Daam.

Il serait bon de rappeler que l'agression sexuelle, du harcèlement jusqu'au viol, n'est pas une question de « sexualité » mais de rapport de pouvoir, de domination Un rapport de pouvoir qui peut jouer pour un.e prof par rapport à un.e étudiant.e, un.e supérieur.e hiérarchique vis-à-vis d'un.e employé.e, une personne bien installée dans une profession vis-à-vis d'un.e débutant.e. Mais un rapport qui reste très largement, encore aujourd'hui, et malgré les exceptions, de l'ordre de la domination masculine.

Les lions peuvent donc ricaner, les gazelles continueront à défendre leurs droits et leur intégrité.

i règlent des comptes entre eu, une affaire strictement privée dont les gazellistes ont voulu faire une question politique ! »

Et les lions, tout contents de cette opportunité, se dirent que le temps de la revanche était venu et qu'ils pourraient revenir aux moeurs anciennes sans que nul ne puisse encore leur reprocher uen cruauté, si largement partagée...

 

 

Voilà l'histoire qui m'est venue spontanément lorsque j'ai vu les réactions à l'information selon laquelle Asia Argento, l'une des premières accusatrices d'Harvey Weinstein, était à son tour mise en cause par un jeune acteur qu'elle aurait agressé sexuellement puis payé pour éviter des poursuites judiciaires. Ce qu'elle dément formellement – mais la plupart des agresseurs commencent aussi par démentir.

Pour les détracteurs du mouvement #MeToo, c'est évidemment uen bénédiction. Ainsi le journaliste Franz-Olivier Giesbert écrit-il avec jubilation : « L’arroseuse arrosée. On ne se méfie jamais assez des marchands de vertu, des donneurs et des donneuses de leçons. Ce sont les les pires ennemis de leur cause ».

A quoi une autre journaliste, Nadia Daam, répond : « on fait semblant de découvrir que l’on peut être victime ET bourreau, et qu’il est possible de lutter publiquement contre quelque chose dont on est soi-même coupable ». C'est toute sa tribune qui mérite d'être partagée comme réplique aux petits sourires en coin des ricaneurs.

http://www.slate.fr/story/166169/metoo-agression-sexuelle-feminisme-asia-argento

 

Cette tribune est d'autant plus intéressante qu'elle interpelle aussi les féministes, en leur rappelant que « Rien n'affaiblira #MeToo si on reste honnête intellectuellement » ou pour le dire autrement, si on garde une certaine cohérence. Si l'on a pris comme principe de croire les vicitmes en attendant que la justice tranche, parce que dénoncer ce type d'agression demande du courage, alors il faut éviter de mettre en doute la parole de Jimmy Bennet, l'accusateur d'Asia Argento (1). Si on estime au contraire que la présomption d'innocence doit rester primordiale, tant qu'il n'y a pas condamnation, alors il faut la respecter aussi lorsque l'accusé est un homme. En aucun cas, le sexe ou la réputation des protagonistes ne justifient que l'on change de position.

Ainsi, il m'a paru assez choquant de découvrir la tribune de soutien à la philosophe féministe Avital Ronnel, accusée d'agression sexuelle par un étudiant, « tribune rédigée par des chercheurs et chercheuses, dont Judith Butler, qui invoque «une campagne malveillante», mettant en avant la «stature» et «la réputation» de la philosophe comme si la célébrité ou un CV bien garni avaient déjà empêché quelqu’un d’être un violeur? C’est exactement la stratégie adoptée par Weinstein, DSK et leurs défenseurs: crier à la cabale, faire de l’accusé un parangon de vertu, se préoccuper des conséquences sur sa carrière, en avoir rien à foutre de la parole des victimes », comme l'écrit Nadia Daam.

Il serait bon de rappeler que l'agression sexuelle, du harcèlement jusqu'au viol, n'est pas une question de « sexualité » mais de rapport de pouvoir, de domination. Un rapport de pouvoir qui peut jouer pour un.e prof par rapport à un.e étudiant.e, un.e supérieur.e hiérarchique vis-à-vis d'un.e employé.e, une personne bien installée dans une profession vis-à-vis d'un.e débutant.e. Mais un rapport qui reste très largement, encore aujourd'hui, et malgré les exceptions, de l'ordre de la domination masculine.

Les lions peuvent donc ricaner, les gazelles continueront à défendre leurs droits et leur intégrité.


(1) Un bel exemple de cohérence et de courage est donnée par l'association de femmes musulmanes Lallab par rapport aux accusation contre Tariq Ramadan : "Notre soutien aux victimes est total".

Mis à jour (Dimanche, 26 Août 2018 09:56)