Lettre ouverte aux travailleur/se/s de la STIB

Chers travailleurs et travailleuses de la STIB, chers camarades,

 

Vous avez été bouleversé/e/s par la mort de l'un des vôtres, et tout le monde – voyageurs, grand public, direction, politiques, médias – a semblé comprendre votre émotion et votre colère. Vous avez arrêté le travail et là encore, les premiers jours, vous avez été largement suivis, malgré le désagréments causés à certain/e/s. Puis, en rangs dispersés, vous avez décidé de poursuivre, et les leçons de morale n'ont pas tardé. « Le travail doit reprendre à la STIB » ! éditorialisait le Soir du 10 avril. Le tic de langage des « voyageurs-pris-en-otage » a repris du service.

En ce qui me concerne, je ne suis qu'une de ces voyageuses quotidiennes sur vos lignes. J'essaie de dire bonjour aux chauffeurs, certains répondent, d'autres pas. J'ai assisté à toutes sortes de scènes, depuis le bus qui démarre au nez d'un voyageur un peu lent jusqu'au conducteur qui quitte sa cabine pour orienter un/e touriste égaré/e ou aider une personne encombrée d'une poussette ou d'un caddy à monter dans son véhicule. J'en ai vu démarrer comme des brutes alors que des personnes âgées se dirigeaient difficilement vers un siège et d'autres, patients et attentionnés, risquant de prendre un retard qu'on pourrait leur reprocher.

Bref, vous êtes comme nous, gentils ou grognons, serviables ou je-m'en-foutistes, selon les personnes et selon les jours. Et il n'y a aucune raison que vous soyez plus sympas ou meilleurs que nous.

Même si votre grève a compliqué mes activités, je ne me permettrais pas de vous dire ce que vous avez à faire. Par contre, je voudrais vous exprimer mon sentiment personnel d'usagère des transports publics – d'usagère, pas de « cliente » comme on tente de me qualifier désormais - quant à vos demandes et aux réponses des politiques.

Si le drame d'Iliaz Tahiraj a particulièrement frappé les esprits, il reste (heureusement) exceptionnel par rapport à ce que vous vivez tous les jours et qui vous met les nerfs en boule : les râleries, les insultes, les « incivilités » (y compris de la part des automobilistes), les gestes et les mots de mépris, les tensions même quand elles ne dégénèrent pas. Pensez-vous vraiment qu'une présence policière accrue rendrait l'atmosphère plus légère, plus conviviale, et votre travail plus agréable ? Pensez-vous vraiment que la sécurité et mieux encore, le sentiment de sécurité, ne sont qu'une question de répression ou de menaces ? Je me souviens bien, il y a quelques mois, sur la ligne que j'emprunte plusieurs fois par semaine, de la présence des « cowboys » de Securitas : leur façon de reluquer les jeunes femmes, leurs chiens qui faisaient peur aux personnes âgées et aux enfants ou encore cette scène de l'un d'eux descendant d'une rame pour shooter, sous l'oeil rigolard de son collègue, dans un panneau d'information ! Franchement, ils ne m'ont donné qu'un seul sentiment : l'envie d'être débarrassée de leur présence !

Aujourd'hui, la tendance générale – ce n'est pas particulier aux transports en commun – est d'une part de mettre en avant la répression et d'autre part, de remplacer les humains par des machines. Dans une station de métro, je me sens nettement plus rassurée par la présence d'agents de la STIB que par les portiques automatiques. Ils contribuent peut-être à combattre la fraude, mais certainement pas à sécuriser. Un oeil humain me paraît à la fois plus sympathique et plus rassurant que celui d'une caméra. Pourtant, des fortunes sont englouties dans une « machinisation » sans fin. Le grand projet du futur n'est-il pas de faire rouler des métros sans conducteur ? Je parie que plus tard, on s'apercevra du manque de présence humaine... et on tentera à grands frais de retisser ce lien social qu'on aura brisé. En ce jour où vous enterrez votre collègue, la SNCB annonce triomphalement l'automatisation des annonces dans les gares : une voix humaine, témoignant d'une présence humaine, remplacée par une voix formatée d'hôtesse virtuelle ! Et ce serait un "progrès" !

Vous voyez, il y a bien des choses à faire. Investir dans l'humain plutôt que dans des machines. Former le personnel à désamorcer les conflits. Eviter de dresser voyageurs et personnel les un/e/s contre les autres mais au contraire, imaginer ensemble des transports plus conviviaux, moins stressants pour vous comme pour nous. En vous respectant en tant que travailleur/se/s et en nous respectant en tant qu'usager/e/s. Et cela, ce ne sont pas des dizaines, des centaines de policiers en plus qui pourront nous l'apporter. Alors, tant qu'à peser sur les décisions politiques, si on prenait les questions de sécurité, mais aussi de bien-être, par un autre bout ?

 

Au plaisir de vous rencontrer sur vos lignes.