Liberté d'expression
C'est une information passée presque inaperçue : « Le conseil d'Etat vient de donner raison à un agent de la SNCB sanctionné après une grève en 2016. (...) La SNCB reprochait à son agent, un délégué syndical, de s'être exprimé dans les médias, par deux fois, sans avoir eu l'autorisation de ses supérieurs et d'avoir ainsi nui gravement à l'image des chemins de fer belges. (...) Le conseil d'Etat relève que dans les deux reportages concernés, l'agent portait la veste du syndicat dont il est le délégué, et qu'il tenait un propos directement lié à la grève du rail en cours à ce moment-là ».
Titre de l'articulet : « Un arrêt du conseil d'Etat rappelle le principe de liberté d'expression en cas de grève ». Retenez bien cette précision : « en as de grève » et ce détail : « dans les deux reportages concernés, l'agent portait la veste du syndicat dont il est le délégué » (1).
Ah, la liberté d'expression ! Ce bien si précieux que certain.e.s jugement actuellement malmené, menacé par une forme de « politiquement correct » imposé par différents « groupes de pression », qui ne sont pas forcément composés d'affreux réacs sur lesquels on peut tomber à bras raccourcis, mais souvent de « camarades », des féministes, des antiracistes... dont, soit-dit en passant, les indignations relèvent aussi de la « liberté d'expression », ce qu'on a parfois tendance à oublier. Le problème, c'est quand ces indignations mènent non pas à débattre, mais à retirer une oeuvre. Quoique le terme de « censure » soit parfois brandi bien légèrement.
L'histoire la plus connue est celle du rappeur Damso, à qui l'Union belge de football avait commandé l'hymne des Diables rouges pour le Mundial en Russie. Au vu de la violence de certains de ses textes vis-à-vis des femmes, des féministes ont protesté contre ce choix, ne provoquant d'abord qu'un haussement d'épaules footballistiques, jusqu'à ce que certains sponsors s'en mêlent, jugeant que cette affaire pourrait nuire à leur image : exit Damso. On ne peut pas pour autant parler de « censure », puisque la chanson sera bel et bien disponible (et certainement très écoutée) et l'auteur présent sur toutes les scènes, comme avant (et soutenu par les mêmes sponsors).
Mais d'autres exemples arrivent quasi tous les jours : des protestations contre un concert reprenant la « Rapsodie nègre » de Poulenc (à cause du titre), des menaces de boycott contre une pièce de Hugo Claus au KVS (à cause d'éléments aux relents colonialistes), une pétition contre un livre pour adolescentes consacré à la puberté (à cause de pages jugées sexistes), le retrait d'affiches ou même d'un tableau (à cause de leur représentation des femmes), la modification de la fin de l'opéra « Carmen » (qui tue son agresseur au lieu d'être tuée)... N'en jetez plus.
Il y a là de quoi soulever de vraies questions sur la liberté artistique, sur une certaine « réécriture » du passé, alors qu'une « contextualisation » serait sans doute préférable... Mais je voudrais revenir au premier cas cité. Car si l'arrêt du conseil d'Etat donne raison au travailleur et tort à son employeur, c'est parce qu'il s'agissait d'un salarié particulier – délégué syndical – et d'une circonstance particulière – la grève. Un.e salarié.e sans mandat, dans des cironstances normales, n'a pas le droit de s'exprimer sans autorisation de ses supérieurs, y compris sur des pratiques illégales. Ou alors c'est un.e « lanceur.se d'alerte », et c'est punissable. Ô défenseurs de la liberté d'expression, où êtes-vous... ?
(1) RTBF, 20/3/2018. La SNCB lui reprochait aussi des « faits de violence » qui n'ont pas été retenus, car c'est plutôt lui qui s'est fait agresser par une collègue