De la brutalité des échanges en milieu militant

Eh bien, voilà, c'est fait : cette fois les sondages ne se sont pas trompés, la France et l'Europe peuvent respirer, ils ne sont « que » 11 millions de Français à avoir donné leur voix à Marine Le Pen. Certains ont fait la comparaison saisissante : c'est l'équivalent de la population belge.

Mais à côté de ce résultat dont on ne peut se réjouir qu'à moitié (ou plutôt à 33%), à côté des inquiétudes quant aux projets du nouveau président – ce dont d'autres parleront bien mieux que moi – cette campagne me laisse une autre sale impression, que je voudrais partager avec vous. Jusqu'ici, je pensais qu'il n'y avait que deux sujets capables de provoquer déchirements et insultes avec celles et ceux que je considère comme des « camarades de combat », que ce soit au sein des mouvements féministes ou d'autres : le voile et la prostitution. Et voilà que durant ces dernières semaines, j'ai découvert un nouveau sujet où les divergences se transforment forcément en « antagonismes » et où l'on se traite mutuellement en « ennemi/e/s » : la position de Jean-Luc Mélenchon et de ses Insoumis/es par rapport au deuxième tour des présidentielles.

Je me suis suffisamment exprimée là-dessus : pour moi, faire barrage au FN était une priorité absolue (et le sera à nouveau lors des législatives) tout comme en Belgique, je serais prête à voter pour un parti libéral si cela s'imposait pour affaiblir la N-VA (1). Pour autant, je ne considère par celles et ceux qui ont choisi de s'abstenir ou de voter blanc ou nul, ou pour les ami/e/s belges qui ont soutenu ce choix, comme des « ennemi/e/s » politiques. Et certainement pas comme dignes d'insultes. L'insulte, d'ailleurs, est une chose qui m'horripile, et plus encore entre personnes qui mènent au fond le même combat, quelles qu'en soient les nuances. (Même s'il m'arrive bien sûr de me lâcher en privé, entre ami/e/s, mais ce n'est pas la même chose qu'en public, y compris les réseaux sociaux !)


On peut avoir des désaccords avec un texte sans le traiter de « crétin ».

On peut s'opposer sur des stratégies sans se lancer des « complices du fascisme » d'un côté, et des « suppôts du grand capital » de l'autre.

Pour aggraver mon cas, j'ajouterais qu'on peut s'opposer à Macron, et avec radicalité, sans le traiter de « rat de la finance ».

Et je dirais même qu'on peut combattre Marine Le Pen, et avec virulence, sans la traiter de « grosse blondasse ».

Et je ne reprends là que quelques-unes des amabilités glanées au fil de cette campagne.

Ah, voilà peut-être mon problème : je suis trop « délicate ». Ce n'est pas par une quelconque pudeur, parce que j'aurais peur des gros mots ou des débats virulents. Dans ma vie militante, j'ai connu bien des engueulades, y compris avec des camarades, étant donnée ma manie de me retrouver toujours du côté de la minorité dans les controverses internes... Je n'ai pas peur des conflits ni des prises de bec. Ce qui m'est insupportable, outre tout ce qui peut ressortir du racisme, du sexisme ou de toute une kyrielle de « phobies » (islamo-, homo-, grosso-...), c'est ce qui s'attaque au physique, au nom ou pire, qui déshumanise, qui ne vise qu'à humilier. Traiter quelqu'un de « rat » ou de « sous-merde », comme j'ai pu le lire, c'est juste un langage d'extrême-droite, aussi « progressiste » soit-on. Dans d'autres cercles militants (mais toujours se réclamant de gauche), on en arrive jusqu'à la menace physique, du genre « tu as intérêt à courir vite si on se croise » (ceci est une citation).

Mais ce qui m'effraie peut-être le plus, c'est le constat que d'une certaine façon, l'invective, « ça marche ». Personnellement, en ce qui concerne les programmes, en France je n'aurais pas hésité pas une seconde : c'est Mélenchon, et l'espoir qu'il a su rendre à des gens (pour reprendre son propre vocabulaire : "les gens") qui désespéraient du monde politique. Et si je suis allergique à un vocabulaire, des postures que j'appelle de « mâle dominant », je dois admettre que c'est cela, précisément, qui « séduit » les plus désespéré/e/s, autant que le programme. Si le trop gentil Hamon s'est crashé à un tel point, c'est bien sûr dû à son projet, à ses liens avec le PS mais aussi, je le crains, à son style trop lisse. Macron l'a bien compris, qui malgré ses airs policés a glissé de plus en plus vers l'arrogance, les coups de menton autoritaires et son « Vive la France ! » qu'il ne suffisait pas de dire, mais qu'il lui fallait hurler lors d'un de ses preiers meetings (même si ça sonnait complètement fabriqué).

Si je me sens donc assez en porte-à-faux avec ma « famille politique », j'ai la faiblesse de croire que certain/e/s partagent au moins ce malaise, et qu'on pourra continuer à militer ensemble sans sacrifier une qualité de relations humaines aux combats politiques. Car si je sais bien qu' « on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs », certaines omelettes ont un goût bien amer.

 

(1) Pour mes ami/e/s hors de Belgique : la N-VA est un parti nationaliste qui compte quelques beaux exemplaires d'extrême-droite dans ses rangs



A lire aussi, dans le même sens : "L’insulte sexuelle ne devrait pas être une arme politique"

"le fait que la dégradation du sexuel soit essentiellement venue des extrêmes et/ou de la jeunesse n’est pas innocent : le centre, la tempérance, la communication, sont des valeurs perçues comme plutôt féminines, au contraire d’un masculin dynamique, jusqu’au-boutiste, qui ne s’embarrasse pas de heurter les sentiments (en plus de massacrer la politesse la plus élémentaire).

Au sexisme des mots s’ajoute donc un rejet plus global de la féminisation de notre société : une réaffirmation du fait que le politique soit mâle et doive le rester."


 


 

 

 

Mis à jour (Lundi, 08 Mai 2017 10:29)