Après le massacre d'Orlando

On a beau se dire solidaire : de toutes les minorités, de toutes les victimes d'injustices, de discriminations, de massacres...

On a beau militer pour des causes qui ne sont pas toujours les siennes, par choix, par conviction, on a beau y mettre tout son temps et toute son énergie...

On a beau aussi refuser les identités assignées, les définitions imposées de l'extérieur, la réduction de soi à une origine, un genre, une orientation sexuelle, toutes réalités que l'on n'a pas choisies...

Il n'empêche : une atteinte à l'une de ces « catégories » auxquelles on appartient, de fait, qu'on le veuille ou non, touche quelque chose de plus profond que tous les autres massacres, ou toutes ces injustices quotidiennes plus ou moins dramatiques qui peuvent susciter indignation et révolte. Soudain, on est atteinte dans ses parties vitales.

Pour moi, c'est ainsi quand des personnes d'origine juive sont tuées parce que juives (qu'elles soient croyantes ou non, et quelle que soit leur implication dans la politique criminelle israélienne), des femmes parce que femmes ou encore, comme en cette horrible nuit à Orlando, des homosexuel/le/s en tant qu'homosexuel/le/s.

Personnellement je déteste tout ce qui est « identité », surtout au singulier. Je suis sans religion et pourtant, la Shoah et l'antisémitisme persistant m'obligent à rester « juive ». Je me sens bien dans l'idée des « genres fluides », mais le sexisme, les discriminations, les violences envers les femmes m'empêchent de revendiquer toute « fluidité ». Je voudrais tellement pouvoir dire, simplement, que j'ai vécu des amours avec des personnes, qui – ô coïncidence – étaient des femmes, l'homophobie toujours vivace, et la minorisation des femmes au sein même de la « communauté » LGBT+, m'obligent en quelque sorte à me revendiquer comme lesbienne.

Je sens bien que pour moi, la tuerie d'Orlando n'est pas un massacre parmi d'autres, nombreux hélas, comme le Bataclan à Paris, l'île d'Utoya en Norvège ou même Maelbeek à Bruxelles, un endroit si proche de moi. Cela m'atteint bien plus profondément. Ne serait-ce que parce que j'y retrouve, poussée à son paroxysme, une haine ou même de simples préjugés qui ont pu me viser moi ou ceux/celles que je dois bien appeler « les mien/ne/s ». Que cela fait remonter des souvenirs, personnels ou non : depuis ces étudiantes (parfaitement libre-exaministes et futures psys!) qui refusaient de s'asseoir à côté de moi, comme si j'allais leur sauter dessus en plein cours, ou comme si j'étais contagieuse ; la mère d'une condisciple à qui j'avais fait mon "coming out" m'interdisant d'approcher sa fille à moins de trois mètres (ce qui me fait rire aujourd'hui, mais pas à l'époque...) ; ces personnes qui interprètent une difficulté avec moi comme un problème avec « les lesbiennes »; ou moins personnel, jusqu'à cette autorité provinciale tout à fait socialiste qui vire une prof pour avoir donné le « mauvais exemple » en parlant de son homosexualité dans une émission télévisée, ou ce couple de jeunes femmes violées pour leur apprendre, sans doute, à apprécier les charmes de l'hétérosexualité. Toutes ces petites humiliations, toutes ces grandes blessures, voilà ce que la tuerie d'Orlando réveille aujourd'hui.

Et ceci reste, bien entendu, un témoignage tout à fait personnel.

 

 

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On n'est pas obligé/e/s d' « aimer » les homosexuel/le/s. Il suffit de voir les personnes indépendamment de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, il suffit de ne pas les discriminer, ou au moins de les laisser vivre.

On n'est pas obligé/e/s d' « aimer » les musulman/e/s. Il suffit de voir les personnes indépendamment de leur croyance ou de leur pratisques religieuse, il suffit de ne pas les discriminer, ou au moins de les laisser vivre.

On n'est pas obligé/e/s d' « aimer » les juif/ve/s, les migrants, les Roms, les Américains, les Belges, les jeunes, les vieux/vieilles, les cyclistes, ni toute autre catégorie, persécutée ou non. Toutes les catégories et les généralisations sont absurdes et parfois mortelles.

Après le massacre d'Orlando, je n'ai vraiment aucune envie de parler d'Amour universel, juste du droit de vivre en paix, de refuser la violence, que ce soit à coups de fusil ou à coups de mots. Je pense à toutes ces victimes mais aussi à toutes celles, tous ceux qui risquent de payer le prix fort sans y être pour rien. Alors, faute de nous aimer tou/te/s, contentons-nous de ne pas nous haïr.


PS : Et si je parle surtout des femmes, je n'oublie pas pour autant l'horrible meurtre d'Ihsane Jarfi, qui montre à lui seul l'absurdité de réduire l'homophobie aux religions, et à l'une d'elles en particulier : dans ce cas, c'est la victime qui était musulmane.

 

 

 

Orlando, nuit du 11 au 1 juin 2016 : http://www.liberation.fr/planete/2016/06/12/massacre-dans-un-club-gay-a-orlando-en-floride_1459012

Mis à jour (Lundi, 13 Juin 2016 10:04)