Religions, mixité et simili queer

 

Ce mardi 24 novembre à Liège, la Fondation Ihsane Jarfi présentait une rencontre sur le thème « Homosexualité et religions monothéistes : points de vue inconciliables ? »

Avant de vous en donner un compte-rendu (d'une subjectivité assumée, comme toujours), une mise au point indispensable : j'ai le plus grand respect pour la Fondation Jarfi et en particulier pour Hassan Jarfi, cet homme qui a vécu l'une des pires choses qui puisse arriver à un être humain, la perte de son fils dans des cironstances horribles. Au lieu d'en tirer des motifs de haine et de vengeance, il a voulu y puiser la force de faire de sa vie un combat contre l'homophobie. Chapeau à lui et à sa Fondation.

 

Tribune unisexe

Cette mise au point étant faite, cette soirée m'a laissé un goût amer et même révolté.

Cette tribune unisexe (1) de huit mecs (les intervenants et l'animateur), en 2015, c'est franchement insupportable. Que les représentants des religions monothéistes soient des hommes, cela ne fait que confirmer leur côté patriarcal ; mais en cette matière, les représentants de la laïcité n'ont guère fait mieux et je dirais même pire, parce que je les considère comme ma famille convictionnelle (mais de moins en moins, tellement leur sexisme autosatisfait, combiné à une dénonciation facile du sexisme des « autres », m'exaspère). Pour la petite histoire, à ma remarque sur l'absence de femmes, ce sont les représentants juif et catholique qui ont répondu de manière plus ou moins pertinente, mais en prenant la question au sérieux, tandis que M. Le Philosophe Laïc se foutait de ma gueule. Mais j'y reviendrai.

Les religions monothéistes donc, face à l'homosexualité .


Trois de leurs représentants s'affichaient ouvertement comme gays et tentaient donc d'expliquer en quoi les textes religieux, contrairement aux apparences, laissaient la porte ouverte à une vie amoureuse et même au mariage de personnes de même sexe. N'étant guère versée dans les versets, j'avoue que certains raisonnements me sont passés par dessus la tête. Sodome et Gomorrhe, ça n'aurait rien à voir avec l'homosexualité, mais avec le viol en temps de guerre, le manque d'hospitalité... Soit. Je pense vraiment qu'on peut faire dire aux textes ce qu'on a envie d'y voir – et tant mieux si ça peut aider au bien-être personnel et à l'ouverture envers autrui. L'explication la plus originale est quand même venue du rabbin (ou c'est moi qui suis plus sensible au raisonnement juif, fût-il le plus bizarre...) : un passage très clair de la Bible condamnant comme une « abomination » une pratique où un homme utilise un autre homme « comme une femme » (merci pour les femmes en passant...) est donc interprété comme une condamnation... de pratiques homosexuelles par des hétéros ! A noter que seule l'homosexualité masculine est ainsi condamnée, ce qui semble plonger ces messieurs dans une immense perplexité. Ben oui, les femmes en général, et les lesbiennes en particulier, ont été et sont invisibles - comme à la tribune de ce débat, d'ailleurs.

Pour le représentant catholique, le mariage hétérosexuel, indissoluble, dans la fidélité jusqu'à ce que mort s'ensuive, est un « idéal » pas à la portée de tous. L'homosexualité dévie certes de cet idéal, mais elle n'est pas pire que la masturbation ou le remariage des divorcé/e/s (ouf).

Quant au représentant musulman (celui qui à vrai dire m'intriguait le plus et dont la présence était une des raisons de la mienne, par curiosité), il a tenu un discours avec tant de circonvolutions, de citations religieuses et de digressions (et de longueurs aussi...), que j'avoue avoir eu du mal à le suivre. Il a bien essayé d'introduire la question des personnes trans, mais de manière tellement confuse que là non plus, je ne suis pas arrivée à le suivre. Allez, il y a des articles de et sur lui, allez voir vous-mêmes, moi j'avoue ma déception et mon découragement.

En fait, celui qui m'a le plus intéressée, était le jeune pasteur protestant, celui qui a le moins parlé, hélas, n'abusant pas de son temps de parole, disant l'essentiel, reconnaissant sa position minoritaire au sein même de son église, et terminant sa brève intervention en envoyant promener toute idée de « compassion », ce qui faisait du bien, tiens. Qu'on « souffre avec lui » ne l'intéresse absolument pas car, dit-il, « je ne souffre pas parce que je suis gay mais parce qu'il y a de l'homophobie ». Donc si vous n'êtes pas homophobe, pas besoin de « souffrir » et si vous l'êtes, passez votre chemin.

Quant au représentant laïque... ben, euh, je n'ai absolument rien retenu de son discours, sur le mode « nous les laïques on est quand même vachement plus ouverts, même si quand même il y a parfois aussi d' l'homophobie chez nous ». On s'en doutait, mais bon.

 

«Simili queer » ?

J'en reviens à l'absence de femmes à la tribune, problème que je me suis permis de soulever (à noter que même dans un public majoritairement féminin, j'ai été la seule femme à prendre la parole).

Durant le premier tour de parole, le philosophe de service, Edouard Delruelle, avait été le seul à noter cette absence de femmes, avec cette remarque mystérieuse : « Ce n'est pas un hasard »... Oui, mais encore... ? Ben non, on n'en saura pas plus, même quand je lui ai demandé ce que c'était, si pas un « hasard » : du sexisme ? Du je-m'en-foutisme ? Du patriarcat ? C'est à peine s'il m'a laissé parler (mais on ne m'interrompt pas si facilement). Il avait quand même déjà sorti de quoi énerver mon féminisme : en martelant à plusieurs reprises que « le désir est politique », comme s'il venait d'inventer une analyse super extra originale (qui n'est qu'une pâle copie du slogan féministe « le privé est politique », mais il ne doit pas connaître ...) ; ou encore en évoquant la « chasse aux sorcières », qui s'en est prise « aux Juifs, aux hérétiques, aux vagabonds »... omettant juste de préciser que la chasse aux sorcières s'en est d'abord prise... aux sorcières, à des femmes donc. Sans oublier sa référence à l' « hétéronormativité », concept qu'îl avait probablement découvert et (très approximativement) « adopté » lors du passage de Judith Butler à Liège la semaine précédente...

Mais j'ai gardé le meilleur pour la fin. S'offusquant d'être pris pour cible, Edouard Delruelle me renvoie ma vision trop « binaire » de l'humanité : me caractériser comme femme et lui comme homme, c'est une « caricature » (si, si, il l'a dit : caricature). Et sa « part féminine », qu'est-ce que j'en fais... ? Voilà la réponse à ma critique : mais si, les femmes étaient présentes à la tribune, grâce à la « part féminine » de M. Delruelle ! Et peut-être de quelques autres - mais aucun n'a quand même osé renchérir. Le rabbin m'a même donné raison (il aurait pu y penser avant, mais bon) en insistant sur l'apport de femmes rabbins dans le judaïsme libéral, et le catholique a même suggéré une autre rencontre sur le même thème, avec uniquement des femmes à la tribune (je n'en demandais pas tant, mais lui au moins n'a pas brandi ses ovaires).

On pourrait demander à M. Delruelle quand sa « part féminine » a été discriminée (jai tenté de le lui crier mais je n'avais plus le micro) ? A-t-elle dû, au cours de sa vie, réfléchir à la manière de s'habiller, aux lieux fréquentables ou non pour ne pas risquer d'agression sexuelle (ou en tout cas, qu'on ne puisse jamais lui reprocher de l'avoir risquée) ? A-t-elle dû revendiquer un salaire égal à sa « part masculine » ? A-t-elle jamais été privée de parole, oubliée comme « experte », pas prise au sérieux parce que « féminine », justement... ? Non, sans doute jamais. Et je serais curieuse de savoir s'il est arrivé à M. Delruelle de brandir cette « part » en dehors d'un contexte où ça l'arrangeait bien. Vous qui l'avez eu comme prof, ou comme directeur au Centre pour l'Egalité des Chances, essayez donc de vous en souvenir... M. Delruelle est-il vraiment « non binaire » ou plutôt, comme l'écrit plaisamment mon amie Françoise, un « simili queer » ?

 

Parole de privilégié/e

Cette histoire soulève bien des questions. Je mets de côté celle de la non mixité, qui me paraît évidente : cette invisibilisation des femmes est insupportable et ce soir-là, rien d'intelligent, de pertinent n'a d'ailleurs été dit sur la place des lesbiennes. Mais plus généralement, que signifie prendre la parole, comme représentant/e d'un groupe minorisé dont on ne fait pas partie ? Ou diriger une association défendant les droits d'une catégorie dominée – que ce soient les femmes, les LGBTQI, les personnes racisées... - quand on appartient, qu'on le veuille ou non, à un groupe dominant ? Quel rôle peut-on alors jouer, sans abuser de sa position dominante, sans parler « à la place de »... ? Je n'estime pas forcément que la direction du Centre pour l'Egalité des Chances doive être réservé à une lesbienne noire handicapée et pauvre, mais oui, que le directeur de l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes soit un homme, ça me pose problème. D'autant que l'on sait que certaines catégories dominées ont plus de mal à trouver un emploi, et surtout un emploi de responsabilité, que des personnes appartenant aux catégories dominantes, qui jouissent de privilèges dont elles ne sont pas toujours conscientes (et qu'elles n'ont pas toujours envie de voir). Surtout quand il s'agit de catégories « visibles » (comme le fait d'être homme et/ou blanc/he). Peut-être que la chose la plus honnête serait alors de parler en tant que privilégié/e, comme simple allié/e des dominé/e/s, qui sont les mieux placé/e/s pour porter leur parole et leurs revendications.

Voilà qui mériterait mieux que de s'inventer une « part » de quelque chose, qui ne sert qu'à justifier le droit de se servir... d'une plus grande part de gâteau.


(1) Les noms des intervenants :

Ludovic-Mohammed ZAHED – Culte musulman
Éric DE BEUKELAER – Culte catholique
Marc NEIGER – Culte israélite
Christophe D’ALOISIO – Culte orthodoxe
François THOLLON-CHOQUET – Culte protestant
Robert MOOR – Centre d’Action Laïque Province de Liège
Édouard DELRUELLE, Professeur de philosophie politique à l’ULg

Robert NEYS, journaliste à la RTBF – Modérateur

 


 

Mis à jour (Mercredi, 25 Novembre 2015 17:52)