Entre deux feux

Ce mercredi 16 juillet, une série d'organisations appellent à un rassemblement de soutien au peuple palestinien. Un de plus, et pas le dernier, on peut le parier. Je ne pourrai y être, car à cette heure-là, je serai déjà loin – et vous savez quoi ? Je suis soulagée.

Non pas que j'aie le moindre doute sur la nécessité de manifester sa solidarité avec celles et ceux qui meurent à Gaza sous les bombes israéliennes - pour l'effiacité, c'est évidemment une autre question. Il faudrait être 100 000, 200 000 ... on ne le sera pas, et pas seulement pour cause de vacances.

Je suis soulagée de ne pas devoir décider parce que d'un côté, je trouve ce rassemblement juste, je dirais même élémentairement juste – mais d'un autre côté, je ne veux pas me retrouver en compagnie de gens qui vont crier « Mort aux Juifs », comme lors d'une récente manifestation parisienne, même si certains témoignages accusent les extrémistes de la Ligue de Défense Juive d'avoir « commencé » ou « provoqué » (mais merde, on n'est pas en cour de récré !) Je ne veux pas me retrouver, comme en janvier 2009, dans la même manif que des panneaux proclamant « Israël=nazis » ou « Gaza pire qu'Auschwitz ». Cela m'est insupportable (mais d'aucuns me diront, non sans raison, que le plus insupportable aujourd'hui sont les bombes sur la population de Gaza).

Oh, je sais, mes « hésitations » ne changeront rien au sort dramatique du peuple palestinien, elles me vaudront juste l'accusation de « traîtrise » ou de « haine de soi » de quelques contacts juifs et celle de « ne m'arrêter à rien pour disculper Israël » (selon les termes d'un contact Facebook qui vient de se désabonner de mon fil en annonçant ainsi son irritation). Je sais qu'il y a des circonstances où, entre l'oppresseur et l'opprimé, « il faut chosir son camp ». Mais je déteste cette idée, car une fois qu'on l'a choisi, c'est comme si on décidait d'être aveugle et sourd à tout ce qui vient d'en face. Quelques belles illustrations dans cet article de Rue 89.

 

Faut-il donc, pour "choisir son camp", s'extasier sur la pseudo humanité de cette armée qui "prévient" qu'elle va raser votre maison, briser votre vie, et si vous ne vous mettez pas assez vite à l'abri, vous accuser de "jouer le bouclier humain" ? Mais, pour choisir le "camp d'en face", faut-il accepter ces théories complotistes qui attribuent aux "sionistes" tous les malheurs de la terre, ce qui permet de mélanger allègrement images des massacres en Syrie et de bombardements à Gaza, puisque les "responsables" seraient en fait les mêmes, suivez mon regard ! Peut-on tolérer cet antisémitisme virulent qui se dissimule derrière les larges épaules de l'anitsionisme - et attention, je ne dis pas que tout antisionisme est antisémite, mais il y a en a qui en profitent bien !  Pas question non plus de garder une sorte d'équidistance confortable ; je sais que la force est surtout d'un côté et les morts de l'autre. Et que les périodes "sans violence" sont en fait celles du blocus et de l'humiliation (1). Mais cela ne peut tout jusitifer, et le pire est là aussi, dans ce fameux "camp d'en face".

Mes parents ont quitté la Pologne « communiste » pour me donner un avenir, mais moins de deux ans plus tard, ils ont aussi quitté le Israël sioniste pour à peu près la même raison. Ce qui me reste de famille vit là-bas, mais j'ai rompu tout contact après mon voyage en Palestine en 2011, en leur envoyant une photo de moi derrière le Mur, côté palestinien. Je ne supportais pas l'esprit guerrier de certains de ses membres, mais pas plus la tiédeur des partisans de Shalom Achav (« La paix maintenant » ... ou plus tard... ou jamais...) Si je devais définir ma position, je dirais que je suis « abolisioniste », c'est-à-dire que l'existence d'Israël ne me paraît absolument pas justifiée : je déteste cette idée d'un « refuge » pour les Juifs et seulement eux, comme si l'on pouvait faire le tri entre les persécutés sur base de leur certificat de naissance. Mais je sais aussi qu'aujourd'hui, « en finir avec Isarël » représenterait une tragédie humaine et que la seule solution imaginable, à supposer qu'il y en ait une, est celle de deux Etats (encore faudrait-il démanteler les colonies qui transforment la Palestine en un véritable gruyère).

Voilà, tout ça n'est pas très glorieux, c'est juste un peu déchirant, et je n'ai rien trouvé de mieux à faire que ce petit geste dérisoire : adhérer à l'UPJB, l'Union des Progressistes Juifs de Belgique, ce que je refusais depuis des années parce que, tout en étant le plus souvent en accord avec leurs positions, je n'avais pas envie de m'engager en tant que juive. Aujourd'hui, j'ai l'impression de ne plus avoir le choix, si je veux à la fois exprimer mon soutien au peuple plalestinien (une solidarité bien modeste, j'en suis consciente) sans jamais justifier une remontée de l'antisémitisme (mais est-il jamais vraiment descendu ?)

Cela ne changera évidemment rien pour le peuple palestinien. J'avais juste envie de m'expliquer, pour que d'autres ne le fassent pas à ma place.

Rassemblement ce mercredi à 16h30 à Bruxelles : http://www.upjb.be/communiques/article/appel-pour-un-rassemblement-de-protestation

(1) Voir aussi, sur ce site, mon reportage en Palestine en 5 volets

Mis à jour (Mardi, 15 Juillet 2014 19:44)