Impressions de Copenhague
Du 15 au 20 mai dernier, nous avons fait un saut à Copenhague, la ville où, paraît-il, le degré de bonheur est le plus élevé du monde... En plus il faisait beau : que demander de plus ? Un peu moins d'extrême-droite, peut-être... ?
La première chose qui frappe en arrivant à Copenhague, c'est... qu'on y respire. Avec comme instrument de mesure une asthmatique, la conclusion est irréfutable : degré de pollution très limité pour une grande ville. Dès qu'on quitte la gare pour aborder les larges avenues, on comprend cet agrément : les vélos sont bien plus nombreux que les voitures. Si le système de vélos gratuits a récemment été abandonné – dommage ! - les boutiques de location sont nombreuses et se déplacer à deux roues est un plaisir dans une ville tout à fait plate, où beaucoup de vélos ne sont même pas équipés de vitesses. Voilà le résultat d'une politique volontariste : sans être rares, les voitures sont sages, roulent prudemment (à part quelques fous comme partout), laissent la priorité aux vélos qui eux-mêmes, gênent peu les piétons. Chaque catégorie dispose de son espace propre et la plupart des Danois semblent respecter les panneaux.
Ce qui frappe ensuite, c'est la décontraction et la gentillesse des gens. A chaque fois que nous nous arrêtions pour déployer la carte de la ville, il se trouvait quelqu'un (en général quelqu'une d'ailleurs) pour nous demander en anglais si nous avions besoin d'aide. Les vendeur/se/s étaient serviables et patient/e/s, même dans les toutes simples baraques à hot-dog. L'une de ces dames, scandalisée parce que nous déclinions sa sauce remoulade (spécialité danoise, comme son nom l'indique) nous l'a carrément fait goûter. On se serait presque cru dans un resto gastronomique.
Même le personnel des guichets, qui a généralement (et pas toujours à tort) mauvaise réputation, nous a accueillies avec amabilité, par exemple à la gare, prenant le temps de nous indiquer les meilleurs tarifs et nous expliquer patiemmment le système complexe des « zones » et des billets 24h. Il faut dire que le personnel est nombreux, que le système fonctionne avec des tickets (ce qui évite de s'énerver parce qu'on a évidemment choisi la file la plus lente) et que si personne ne semble glander, le travail se fait apparemment sans stress.
Bien sûr, nous avons aussi été attentives à tous les petits et grands signes d'égalité entre hommes et femmes. Dans la rue, on voit bien plus que chez nous des hommes seuls s'occupant d'enfants, y compris très jeunes. A l'hôtel, c'étaient des hommes de ménage qui assuraient la propreté (et là encore, ils semblaient travailler sans trop de pression). A l'inverse, les femmes semblent naturellement présentes dans des métiers qu'on dirait ici plutôt "masculins" : ainsi, à Roskilde, elles participent à la construction de bateaux et fournissent, à l'égal de leurs collègues masculins, des explications sur le maniement des drakkars vikings (on en a essayé un, une expérience rigolote, on participe en ramant et en hissant la voile). Et puis surtout, il y a peu de ces regards « lourds » des mecs qui détaillent votre anatomie d'une manière plus ou moins insistante.
Sauf...
Sauf à Christiania. Christiania, c'est ce quartier de Copenhague fondé en 1971 et autoproclamé « ville libre », fonctionnant en communauté autogérée et toujours debout, malgré les menaces de fermeture. De quoi exciter curiosité et sympathie. Mais on était prévenues : Christiania n'est plus ce qu'elle était. On ne peut donc parler d'expérience « décevante ». On franchit un portail et hop, on change d'univers. Des baraques, moins de propreté (pour le dire gentiment), des paumés,des pétés, une odeur persistante d'herbe et dans ce lieu qui se veut « libre », surtout des inscriptions répétant... des interdictions. Ne pas courir (cela pourrait provoquer la panique), ne pas prendre de photos (car on y vend des susbtances illicites)... Sinon, la seule affiche politique proclame « non au racisme » ce qui, il faut bien le dire, n'est pas de la plus haute subversion.
Et ce que d'autres remarquent peut-être moins : en entrant dans Christiania, on se retrouve soudain dans un univers très masculin... et très macho. Autant on vous fout la paix, en tant que femme, dans le reste de la ville, autant ici, on se fait interpeller. Deux ou trois fois en moins d'une heure ; ça fait beaucoup, surtout comparé au zéro fois le reste de la semaine.
Bref, alors qu'on comptait manger là, ne serait-ce qu'en forme de soutien, on a préféré aller prendre notre hot-dog plus loin, à Christianhavn, dans un lieu plus propre et surtout plus accueillant.
Il y a bien d'autres choses qu'on a beaucoup aimé. Une architecture moderne inventive, une vie culturelle qui semble très riche. Le souci d'égalité, jusqu'au panneaux électoraux, tous du même type et de même grandeur. Une multiculturalité très visible, on est même tombées sur une expo à même une palissade, présentant des femmes portant le foulard de toutes origines, avec pour message : le voile peut avoir des significations diverses . Les palissades entourant les travaux semblent d'ailleurs aiguillonner la créativité danoise, comme celle du quartier de Nyhavn, recouverte de petit rectangles qu'on peut tourner pour former un message, un dessin... nous l'avons testé pour y laisser le sigle féministe !
On a adoré aussi le musée de Louisana, les sculptures de Calder et Henry Moore sur fond de mer, les marcheuses de Giacometti, les ateliers pour les enfants (les musées développent d'innombrables activités pour les petits) et la découverte de Hilma Af Klint, une précurseuse de l'art abstrait, oubliée par l'histoire de l'art (une femme, hein, doutant d'elle même !), tellement persuadée d'être incomprise qu'elle avait exigé, dans son testament, que ses oeuvres avant-gardistes ne soient montrées que vingt ans après sa mort !
Il y a aussi ce qu'on a moins aimé.
D'abord, les prix prohibitifs. On a beau s'y attendre, ça surprend quand même. Près de 3Є50 pour un ticket de bus, au moins 3 pour la moindre boisson. 13 pour un fish and chips, 5 pour 100gr de tarama (délicieuse par ailleurs). Plus de 10Є pour un menu hamburger. 8Є euros le pack de 6 bières locales en grande surface. Relativement peu de poisson, et très cher. Un buffet à 11Є, le midi, était une trouvaille (beaucoup plus cher le soir). D'où les nombreuses allusions aux hot-dogs plus haut (3Є50 quand même).
Mais cela, c'est évidemment lié au niveau de vie. On sent bien la richesse ( (comme ces appartements dans les anciens chantiers navals, dont le prix peut aller jusqu'à 1 million d'euros) Etre pauvre ici doit être d'autant plus dur, comme ces gens qui fouillent les poubelles, surtout à la recherche de canettes et de bouteilles plastique, qu'ils ont tellement hâte de trouver que vous devez vous accrocher à la vôtre pour éviter qu'on vous l'arrache, avant même qu'elle soit vide...
Les musées, eux aussi, sont hors de prix, sauf s'ils sont gratuits, comme le National Museet. Et cela sans respect excessif pour l'usager (1).
Par exemple, au Musée du Design, une bonne partie de la collection permanente (historique) était en travaux et inaccessible, seules les expos temporaires pouvaient être vues. Pas d'infos sur le site, à l'accueil juste des excuses pour les travaux à la toiture... mais sans qu'on puisse mesurer l'étendue des collections fermées et aucune adaptation du prix d'entrée.
Le respect des usagers ne semble pas d'ailleurs, de manière surprenante, une vraie priorité. Notre train de nuit n'a pu aller jusque Copenhague, pour un problème d'avarie technique. Cea arrive, mais la prise en charge des passagers a été plus qu'approximative. Des bus qui n'arrivaient qu'au compte-goutte, pas d'accompagnement ni d'informations à la gare où nous étions largués, pas de distribution de café ni même d'eau au cours de la longue attente (et impossibilité d'en acheter aux distributeurs, faute de couronnes danoises...)
Mais globalement, Copenhague est une belle expérience, dont nous revenions gonflées à bloc.
Et puis, quelques jours après notre retour, ce sont les élections européennes. On apprend que le Danemark est, avec la France, le pays où l'extrême-droite a obtenu le meilleur résultat : 26,6 % pour le Dansk Folkeparti. Pourtant ici, pas d'explosion du chômage, pas de gestion politique erratique... on ne peut s'empêcher de penser que c'est juste un vilain réflexe égoïste de riches qui ne veulent pas partager, qui prennent l'immigration en bouc émissaire de tous les maux (même rares), sans remettre en cause, par ailleurs, des acquis comme les droits des femmes et des homosexuels ou le souci de services publics de qualité... Très typique de l'extrême-droite des pays nordiques.
Alors, à l'Eurovision du bien vivre, le Danemark mériterait-il vraiment les « twelve points » ? La question reste posée.
(1) On s'est dit qu'il leur faudrait vraiment un Bernard Hennebǿr...
Mis à jour (Mercredi, 04 Juin 2014 13:30)