Avis sur les propositions de loi discutée au Sénat concernant la filiation des co-parent/e/s

Nous nous trouvons devant deux propositions de loi établissant la filiation du/de la co-parent/e.

La proposition 1 est déposée par MM. Jean-Jacques De Gucht, Philippe Mahoux, Guy Swennen et Mme Christine Defraigne et consorts, la proposition 2 par Mme Els Van Hoof et consorts.

Les deux propositions ont pour point commun de vouloir répondre à une demande des couples lesbiens qui conçoivent un enfant par PMA : contrairement à ce qui se passe pour le père dans un couple hétérosexuel, celle qui n'est pas la mère biologique n'est pas automatiquement reconnue comme co-parente et doit passer par de longues et coûteuses procédures d'adoption.

Le législateur s'est engagé à gommer cette inégalité entre couples hétérosexuels et couples lesbiens.. Dans ce sens, la proposition de loi, qui « entend régler la protection juridique de l’enfant et du co-parent non plus via l’adoption mais en adaptant les règles de filiation existantes » constitue une réelle avancée.

Cependant, un point de la proposition 1 nous pose problème. En effet, dans sa volonté d'établir une stricte égalité entre couples d'hommes et de femmes, elle introduit subrepticement une possibilité qui est fortement contestée dans les mouvements féministes, à savoir la « gestation pour autrui » ou GPA, autrement dit les mères porteuses. Les auteur/e/s écrivent dans leurs développements : « La proposition de loi est neutre sur le plan du genre et s’adresse à tous les couples de même sexe qui, en recourant ou non à la procréation médicalement assistée, veulent s’engager dans un projet de parentalité dans le cadre de la vie de famille qu'ils prévoient ensemble ». Il s'agit donc d'étendre la présomption de co-parentalité non seulement à la co-mère d'un couple lesbien mais aussi au co-père d'un couple gay.

L'article 33 de la proposition de loi évoque d'ailleurs clairement le cas des mères porteuses, par le biais de la condamnation de toute pratique de commercialisation du corps des femmes, en prévoyant dans ce cas des peines aussi bien pour les intervenants médicaux, les parents commanditaires, les intermédiaires intervenant dans un but de lucre que pour la mère porteuse elle-même. A noter que dans cet article, les commanditaires et la mère porteuse seraient pénalisés de la même façon, alors même que les auteur/e/s reconnaissent qu'elle pourrait accepter un « marché » pas seulement par « goût de lucre » mais parce qu'elle serait en position de faiblesse : « Les règles relatives à la coparentalité ne peuvent être d’application si la femme qui accouche reçoit une contrepartie disproportionnelle ou est exploitée d’une manière ou d’une autre » Il ne nous paraît pas normal de prévoir les mêmes peines pour ceux qui abuseraient d'un rapport de force et celle qui y serait soumise.

Mais le problème de fond est ailleurs. Même en supposant que la gestation pour autrui ne fasse l'objet, dans certains cas, d'aucune sorte de rétribution autre que la couverture des frais encourus, et qu'elle soit « offerte » par pure amitié ou solidarité, nous considérons qu'on ne peut pas mettre sur le même plan un don de sperme et une grossesse de 9 mois, ni en termes d'implication personnelle, ni pour ce qui est des risques sur la santé, la vie professionnelle, ou d'éventuelles complications à long terme.

Nous comprenons bien le souci du législateur de préserver l'égalité entre gays et lesbiennes et de rendre la loi neutre du point de vue du genre. Mais il se fait que les situations ne sont pas du tout les mêmes. Nous reconnaissons que dans ce cas, de par leur impossibilité de porter des enfants sans passer par le corps d'une femme, les gays sont désavantagés par rapport aux lesbiennes ; mais on ne peut sacrifier ces « autres femmes » au profit des hommes. Il y a a tant de domaines où l'égalité entre hommes et femmes n'est pas réalisée, et pour des raisons bien moins justifiées ; peut-être les hommes peuvent-ils supporter cette inégalité-là, car son effacement implique l'instrumentalisation, fût-elle non commerciale, du corps des femmes.

La proposition 2 exclut de son côté ce recours au mères porteuses en indiquant que « La présente proposition de loi ne crée pas de statut pour les couples homosexuels. Nous reconnaissons qu’un enfant élevé par un couple homosexuel peut s’épanouir aussi bien que tout autre enfant et qu’il doit également pouvoir bénéficier d’une protection juridique identique. Toutefois, la situation de l’enfant d ’ un couple homosexuel n’est pas comparable à celle de l’enfant d’un couple lesbien. En effet, il est impossible qu’un enfant naisse d’un couple homosexuel. Dans ce cas, il faut en effet toujours une mère qui abandonne l’enfant. Le transfert de cet enfant requiert un encadrement particulier et minutieux du recours aux mères porteuses. Il importe de tenir compte de tous les droits et intérêts en jeu pour que l’enfant ne devienne pas l’objet de quelque transaction commerciale. C’est pourquoi des études doctorales sont actuellement menées à ce sujet. Nous estimons qu’il est important d’attendre les résultats de ces études pour ouvrir un nouveau débat approfondi à ce sujet ».

Même si cette précaution est recommandée au nom de l'intérêt de l'enfant sans se préoccuper de celui de l'éventuelle mère porteuse, il nous paraît qu'en effet, la GPA ne peut être introduite sans aucun débat de fond.

Nous demandons donc que toute allusion à la GPA soit retirée de la proposition de loi et que la co-parentalité en matière de PMA soit réservée aux lesbiennes.

 

Proposition 1 : http://senat.be/www/webdriver?MItabObj=pdf&;MIcolObj=pdf&MInamObj=pdfid&MItypeObj=application/pdf&MIvalObj=83890852

 

Proposition 2 : http://senat.be/www/webdriver?MItabObj=pdf&;MIcolObj=pdf&MInamObj=pdfid&MItypeObj=application/pdf&MIvalObj=83891047