Non, Dustan n'est pas "universel" !

Deux pages pour annoncer la parution des oeuvres complètes de Guillaume Dustan : pourquoi pas. Il a sans doute marqué sinon une génération, du moins une partie d'une génération, et il a pris une place bien à part dans le monde littéraire. Je suis d'avis que l'art dépasse la personnalité de ses créateurs et ses créatrices, et que le personnage en effet détestable de Dustan ne doit pas empêcher de s'intéresser à son oeuvre.

Pourtant, la manière dont Thomas Clerc le présente (Le Monde des Livres, 31 mai 2013) m'a fait sursauter à plusieurs reprises. Je ne parlerai pas de la « force littéraire » de cette oeuvre, à laquelle je suis totalement insensible. Mais pour ce qui est de sa « force politique », il me semble qu'il y a quelques contresens. J'en relèverai deux.

Le premier est un détail, mais quand même : écrire que la boîte de nuit est « l'espace où se dessine un monde partagé » ou mieux encore, qu'elle « réalise l'idéal démocratique » est stupéfiant, quand on sait que c'est l'un des lieux où les discriminations « au faciès » sont les plus fréquentes, et les plus violentes. Demandez donc aux jeunes hommes issus de l'immigration, régulièrement refoulés à l'entrée de cet « idéal démocratique », ce qu'ils en pensent.

L'autre partie qui m'a fait sursauter est la portée soi-disant « universelle » des questions mises en avant par Dustan. Je ne sais pas si tous les hommes (ou la majorité d'entre eux) se sentent vraiment concernés par cette « marginalité »-là, inclus dans la « fraternisation globale » de «passions communes» ; en tout cas je peux vous dire que ce n'est pas le cas d'une grande partie des femmes. Il serait bon de ne pas oublier que l' « universalité fraternelle » exclut quand même une moitié de l'humanité (et je sais bien que Virginie Despentes considère Dustan comme « le meilleur d'entre nous », mais ce n'est pas non plus une position « universelle »). Rien d'étonnant à cela : Dustan avait le plus profond mépris pour les femmes, comme j'ai eu l'occasion de le constater lors des UEEH à Marseille (Universités d'Eté des Homosexualités) où ses remarques allaient d'une misogynie basique « entre copains » à une violence verbale en assemblée générale, où il a été jusqu'à déclarer que « les femmes puent ». On n'a pas été nombreuses (et encore moins nombreux) à se lever et sortir en signe de protestation. Je sais qu'il aimait provoquer, mais aurait-il bénéficié de la même indulgence presque amusée s'il avait sorti (ou craché) la même insulte à l'intention des Noirs, des handicapés ou... pourquoi pas, des homosexuels ?

Non, Dustan n'est pas « universel », il a joué sur une extrême marginalité pour se faire une place. Et je ne parlerai pas pour ceux qu'il a entraînés – car il avait sa part de charisme – à « partouzer no kapot », pour le citer, et dont j'espère que certains sont encore vivants pour s'en souvenir.