Défendre la liberté, ou flinguer les féministes ? (réponse à Catherine François)

(Revue Politique, paru sur le site le 27 mai 2013)

Ainsi donc, pour Catherine François, la liberté sexuelle « transpire le plus quand on s’approche des personnes prostituées ou des actrices porno et de toutes celles et ceux qui pratiquent la sexualité hors format ». Oublions un instant le hors format – car le format, et par conséquent le hors format, sont largement déterminés par une époque, un environnement - pour nous concentrer sur ses deux premières catégories. Sans même rentrer dans le débat sur la prostitution et la pornographie, on peut s’étonner que le summum de la liberté des femmes (car c’est d’elles qu’il s’agit ici) soit représenté par la tâche de s’occuper du plaisir et/ou des fantasmes des autres – en l’occurrence des hommes. Car la plus « libre » des prostituées n’est quand même pas payée pour s’envoler au septième ciel, il s’agit bien de satisfaire le client et si jamais elle prend son pied (sans faire semblant, supposons) ce n’est là qu’un effet secondaire (comme disait l’une d’elles, « je jouis deux fois, une fois quand le client me paie et l’autre quand il s’en va »).

C’est devenu un tic de langage que de délégitimer la parole de celles/ceux dont on ne partage pas les opinions en les taxant de « bien-pensants », créatures de la « pensée dominante » sinon « unique », termes que l’auteure manie avec générosité.

Wilhelm Reich, qui reste, malgré certains délires de la fin de sa vie, l’un des grands théoriciens de la liberté sexuelle et de son lien avec la liberté tout court, considérait d’ailleurs la prostitution comme un « phénomène préoccupant », dû à la répression sexuelle de la société bourgeoise.

Mais Catherine François a une autre cible favorite : l’ « élite féministe », qu’elle place aux côtés des Eglises, comme autant de « groupuscules qui s’acharnent à vouloir pénaliser tout ce qui ébranle la bien-pensance ». C’est devenu un tic de langage que de délégitimer la parole de celles/ceux dont on ne partage pas les opinions en les taxant de « bien-pensants », créatures de la « pensée dominante » sinon « unique », termes que l’auteure manie avec générosité. Il ne manque plus que le « politiquement correct ». Dans le même numéro de Politique, l’article bien plus intéressant et réfléchi de Colette Bériot, « Vivre sa sexualité dans les quartiers populaires », montre pourtant bien que s’il y a « fliquage des prolottes » (encore une citation de CF), il n’est pas vraiment l’œuvre de « l’élite féministe ».

Emportée par son élan, Catherine François dénonce un autre scandale : « On n’a jamais entendu ces pourfendeur/ses/s de la liberté sexuelle s’indigner devant l’existence des contes de fées qui salissent l’égalité des sexes et figent les jeunes filles dans des rôles de potiches soumises confirmées dans une sexualité passive ». C’est sûr, les féministes adorent les contes de fées et recommandent aux jeunes filles d’abandonner études et travail pour attendre, bras et jambes croisés, l’arrivée du Prince Charmant, en pratiquant l’art si féminin du tricot. Mais où Catherine François est-elle allée chercher cette caricature ? Pour ne prendre qu’un exemple, elle n’a jamais dû entendre parler de cette action d’Osez le féminisme réalisant de petites capsules vidéo à la gloire du clitoris, certes pas chez les prostituées ou les actrices du porno mais dans la rue, sur les marchés et même, à Bruxelles, lors de la Fête du Premier mai : pour une auto-réappropriation du plaisir des femmes !

Après avoir ainsi tiré dans le tas, sans crainte de se tromper de cible, la flingueuse termine son jeu de massacre par une grande idée révolutionnaire :« Notre rôle dans l’éducation sexuelle est de rappeler qu’il n’y a que le consentement qui nous distingue de l’animal. C’est à partir du consentement qu’on peut jeter les bases d’une société de dialogue et de respect. Le consentement ne peut impliquer que des êtres libres et majeurs sexuellement. (...) Le consentement des personnes est tout ce qui cimente notre civilisation ». Tout ça pour ça, aurait-on envie de dire. Certes aucune relation ne peut être émancipatrice sans consentement mais pour le coup, voilà Catherine François bien modeste, pour quelqu’une qui prétend défendre la liberté sexuelle des femmes.

Pour m’en expliquer, je me permets de reprendre un extrait de l’un de mes articles, « Consentir n’est pas désirer », : « Mon Robert historique m’informe qu’à l’origine le terme ’consentir’ signifiait "être d’un même sentiment" donc, en effet, il pourrait indiquer le partage d’un même désir. Mais aujourd’hui, précise le bon Robert, "consentement a été adjectivé au sens général et aussi avec la valeur ’qui accepte une relation amoureuse, sexuelle’ (au féminin)". Voilà donc l’origine de mon malaise : le "consentement", ça n’existe qu’"au féminin". Loin d’être une manière de "sentir avec", c’est un pur produit de relation d’inégalité, voire de domination. Je comprends bien que la loi doit tracer une frontière au-delà laquelle commence le délit ou le crime : le viol est donc défini par le non-consentement de la victime à certains actes de nature sexuelle. La définition précise des actes pris en compte variant avec le temps et le lieu, tout comme la définition du consentement : faut-il un « oui » ou suffit-il d’une absence de « non » ? (...)

Au-delà de l’aspect légal, le "consentement" (au féminin uniquement) n’est-il pas le signe d’une relation d’une grande pauvreté ? (...) Je ne prétends pas qu’il faut toujours se priver et priver l’autre si on n’est pas au top du désir bestial, là tout de suite sur la table de la cuisine. On peut en effet « consentir » pour un tas de raisons. Parce qu’on a envie de faire plaisir à l’autre, tout simplement. Parce qu’on l’aime, bêtement, même si on n’a pas envie, là tout de suite. Parce que dans l’intimité d’une relation entre deux - ou plusieurs - adultes, il existe une infinité de figures complexes. Mais quand une femme "consent" juste parce qu’elle se sent prise au piège, qu’elle n’a pas envie de complications, ou qu’elle a peur de passer pour une coincée du vagin, le consentement même explicite, et même si la loi n’est donc pas transgressée - eh bien, le consentement n’est rien d’autre que de la résignation à un rapport de force défavorable.

Un dictionnaire en ligne donne d’ailleurs ce délicieux exemple pour illustrer le mot : « La direction consent à l’augmentation des salaires ». Alors je vous le dis, chers camarades masculins : si quand vous batifolez avec une femme il vous suffit, pour prendre votre pied, qu’elle soit aussi « consentante » à vos caresses qu’une direction à une augmentation salariale, c’est que vous manquez vraiment d’ambition. Pour ne même pas parler de respect ou d’amour ».

La liberté sexuelle des femmes, pour moi, ne se réduit donc pas au consentement ; elle consiste à désirer, choisir, proposer ses propres règles du jeu, inventer, décider, même si le désir lui-même n’est pas tout à fait épargné par les contraintes et les injonctions d’une époque. Dans les années 70, non seulement on avait des comportements plus « libres » qu’aujourd’hui, mais aussi des désirs plus sauvages, moins formatés – ou sans doute formatés autrement. Vive la liberté, donc, mais sans leçons – ni de morale, ni de « contre-morale ». Les féministes ne sont pas les ennemies !