On n'est pas des utérus sur pattes !
Cela aurait pu être une belle journée. Un peu de soleil entre de longues semaines de pluie. La France qui promulgue le droit au mariage et à l'adoption pour les couples du même sexe – ce qui, après tous les débordements homophobes des opposants, est une bonne nouvelle même pour une militante anti-mariage comme moi.
Cela aurait pu être une belle journée à Bruxelles, une Pride colorée, pleine de bisous, de rires et de voitures d'enfants, de jeunes, de vieux et de vieilles, d'homos joyeux/ses et d'hétéros solidaires – pleine de chars commerciaux et bruyants que j'aime moins, aussi, mais il en faut pour tous les goûts.
Pourtant aujourd'hui, je ne serai pas dans le cortège, pour la première fois depuis que les Pride existent.
Je n'y participerai pas parce que l'une des revendications principales de cette manifestation sera, parmi d'autres demandes plus légitimes, un point qui me reste en travers de la gorge : la « Gestation pour autrui », autrement dit la légalisation des mères porteuses. « Les autorités fédérales doivent encadrer légalement les recours à la gestation pour autrui afin de garantir et de protéger toutes les personnes impliquées, particulièrement les enfants issus de cette démarche » : voilà le point 3 des revendications de cette année.
« Don de gestation »
Et pour enfoncer le clou, l'asbl Homoparentalités présentait ce vendredi 17 mai une proposition de loi pour encadrer ce qu'elle appelle poétiquement le « don de gestation ». Ces termes ne sont pas innocents : parler de « don » prétend d'une part effacer tout soupçon de marchandisation du corps des femmes et d'autre part, plus subtilement, faire le parallèle avec le don de sperme. La femme qui porterait l'enfant est d'ailleurs appelée « la donneuse » (alors qu'en fait, s'il y a bien une « donneuse », c'est celle chez qui a été prélevé l'ovulet). Comment peut-on mettre sur le même plan une masturbation devant des revues porno (d'accord, je suis triviale et je simplifie, mais je suis très en colère!) et le fait de se faire implanter un embryon (plusieurs tentatives sont souvent nécessaires), porter un enfant pendant neuf mois, le sentir bouger dans son ventre, passer par un accouchement qui est tout sauf une partie de plaisir avant de céder, non pas des paillettes dans un flacon mais un être vivant, avec en plus tous les risques pour la santé physique et psychologique des différentes étapes (et parfois encore bien au-delà) !
Mais les auteurs de la proposition se sont tellement préoccupés du rôle de la « donneuse » qu'à la question de savoir ce qu'il en serait du congé de maternité, ils sont bien dû admettre, un peu penauds... qu'ils n'y avaient pas pensé. En effet : un utérus n'a pas besoin de congés.
Pour ce qui en est de la marchandisation, la proposition la rejette avec force tout en prévoyant un « dédommagement financier » qui pourrait aller au-delà des frais engagés (soins médicaux, perte de revenus professionnels...), ce qui serait « la seule façon concrète d'exprimer l'infinie gratitude éprouvée envers la donneuse, permettant d'envisager une relation exempte d'un profond et paralysant sentiment de dette ». Autrement dit, si jamais la mère manifestait une « incapacité » à se séparer de l'enfant, les « parents d'intention » (encore une belle invention linguistique) pourraient lui dire : « Prends l'oseille et tire-toi ».
Cours d'autonomie
Voyons donc ce texte et tout ce qu'il implique (1). Je m'en tiendrai à ses implications pour les femmes, d'autres pourront, mieux que moi, analyser ce qu'il en est de l'enfant.
Admirons déjà, dès l'introduction, le cours de morale perfide à l'intention des féministes (que les porteurs du projet se sont bien gardés de consulter, alors qu'elles ont pourtant beaucoup travaillé sur tout ce qui concerne la maternité) : « Certaines autres inquiétudes concernent les femmes porteuses qui pourraient agir sous la contrainte, qu'elle soit directe ou indirecte, imaginaire voire intégrée. Elles seraient également soumises à des risques inconsidérés concernant leur potentielle incapacité de se séparer de l'enfant après la naissance. Ces inquiétudes nécessiteraient que les femmes soient protégées contre elles-mêmes en interdisant purement et simplement la pratique. Or, cette vision paternaliste et réductrice nie la capacité des femmes à prendre des décisions autonomes, de décider pour elles-mêmes le sens qu'elle donnent à une grossesse ou le vécu qu'elles en ont » (A noter que ce texte ne suppose qu'une « incapacité » de se séparer de l'enfant, pas un refus).
Au contraire, loin de ces « paternalistes » qui ne croient pas en l'autonomie des femmes, le projet prétend défendre le « droit des femmes de disposer de leur corps et de définir de façon autonome le vécu qu'elles ont d'une grossesse, sans se le voir dicter par une vision unique et imposée » (suivez mon regard).
Voyons donc quelques points qui montrent ce grand souci d'autonomie.
Les plus significatifs concernent les « droits et obligations des parties ». Commençons donc par la « donneuse » : outre l'engagement à se soumettre aux examens médicaux et à « se séparer de l’enfant après l’accouchement », elle doit aussi, par contrat, s'engager à « prendre soin d’elle-même et de l’enfant pendant la grossesse, en se comportant de manière responsable par rapport à sa santé et celle du/des bébé(s) à naître » ; Bonjour l'autonomie et la confiance dans son sens des responsabilités ! La convention ne dit pas ce qu'il arrive si elle est surprise à boire un verre de vin, affalée devant le Grand prix de l'Eurovision de la Chanson, alors que les « parents d'intention » n'aiment que la musique classique ! On sait que le bébé est sensible aux sons et aux mouvements de l'environnement de sa mère, il faudrait donc mieux surveiller !
Avortement, les femmes ne décident plus
Mais le comble est atteint avec l'Article 12 : « Les parents d’intention doivent prendre le cas échéant, en cas de diagnostic de pathologie grave et incurable de l'enfant la décision éventuelle d'interrompre la grossesse, sauf si cette interruption présente un risque important pour la santé de la donneuse. Si la donneuse désire conserver l’enfant contre l’avis des parents d’intention, les conventions sont résiliées de plein droit ». Dans tout autre cas, quel que soit le sexe de l'enfant, ou un handicap non détecté ou encore une naissance multiple, les parents d'intention doivent accepter la filiation.
Vous avez bien lu : la décision revient aux « parents d'intention ». Sauf dans un cas : Art. 14 al. 2: « (La donneuse) décide souverainement, de l’interruption de la grossesse au cas où, sur diagnostic médical émanent ou validé par le centre de don de gestation, il est constaté que sa santé serait gravement mise en péril par la continuation de la grossesse ou par l’accouchement ». L'avortement ne serait donc autorisé qu'en cas de danger grave pour la mère.
Ajoutons-y l'article 10, al 3, qui donne le droit aux deux parties de rompre l'accord, même unilatéralement, jusqu'à l'implantation de l'embryon, mais précise qu'au-delà, l'engagement doit être tenu jusqu'au bout. Cela signifie très clairement qu'une fois l'embryon implanté, la femme ne peut pas changer d'avis, ni décider de garder l'enfant ni, pour des raisons qui lui appartiennent, choisir d'interrompre sa grossesse. C'est une remise en cause évidente du principe « Avortement : les femmes décident », une des conquêtes majeures du mouvement féministe. L'article 21 stipulant que « Quiconque collabore au don de gestation sans satisfaire aux conditions énoncées dans la présente loi sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de mille cinq cents euros à quarante mille euros, ou d'une de ces peines seulement », cela peut être entendu comme une forme de repénalisation de l'avortement (2).
A noter encore que dans ce projet, les « petits arrangements entre ami/e/s » ou avec des proches, les formes de multiparentalité (une femme ou un couple de femmes faisant un enfant avec un couple de gays...), ne sont absolument pas pris en compte. On dirait que l'essentiel est d' « éliminer » la porteuse dès qu'on peut se passer d'elle et de son corps.
Alors, amis gays, si vous tenez tant aux enfants et à la famille, rejoignez plutôt les féministes quand elles revendiquent un meilleur accueil de la petite enfance, un congé de paternité allongé et obligatoire, ou encore rejoignez-les quand elles se battent pour l'individualisation des droits sociaux. Le mouvement féministe a largement soutenu les revendications homosexuelles, on l'a encore vu ces derniers en France, même pour une revendication comme le mariage qui est pourtant tout sauf un idéal féministe ; on aimerait à l'inverse que les organisations de femmes soient considérées par le mouvement homo comme des alliées possibles, des partenaires de débat et en tout cas, pas comme des réserves d'utérus sur pattes.
Pour une analyse globale de la GPA, voir aussi le communiqué des FPS. La proposition de loi répondent (ou semblent répondre) à certaines objections, mais de loin pas à toutes
(1) si vous souhaitez le lire sans mes commentaires malveillants, il est ici
(2) Merci à Greg Rendouf pour cette très pertinente conclusion
Mis à jour (Samedi, 18 Mai 2013 19:54)