L'inconnu du vol Camair-Air

 

C'est une histoire infiniment triste, et pourtant pleine d'humanité. Le 8 avril dernier, le vol QC 102 de la compagnie camerounaise Camair-Air se pose sur l'aéroport de Roissy. Un inspecteur qui effectue un contrôle de routine tombe alors sur le corps d'un homme dans le train d'atterrissage de l'avion. Sur lui, on ne trouvera ni papiers, ni aucun autre indice permettant de l'identifier. L'autopsie déterminera seulement qu'il avait entre 15 et 17 ans et qu'il était mort par manque d'oxygène à 9000 mètres d'altitude. Le corps a ensuite gelé pendant les sept heures de vol.

Une histoire qui fait immédiatement penser à celle de Yaguine et Fodé, deux Guinéens de 14 et 15 ans découverts dans le train d'atterrissage d'un avion de la Sabena à l'aéroport de Bruxelles-National, le 2 août 1999. On avait trouvé sur eux une lettre dans laquelle ils appelaient l'Europe au secours, et qui avait fait le tour du monde, atteignant jusqu'au coeur de décideurs politiques dont on a pu croire, un moment, qu'ils infléchiraient des lois impitoyables aux candidats immigrants. On sait ce qu'il en est : ces lois ont encore été durcies et l'Europe-forteresse devra sans doute assumer d'autres actes désespérés de ce type. Car il est impossible de survivre dans ces conditions, ce qui n'empêchera pas des jeunes de tenter quand même leur (mal)chance et venir mourir jusque devant nos portes, comme en 2007, lorsque le corps d’un jeune Egyptien était tombé, d'un avion d'Air France qui sortait ses roues, dans le jardin d'une habitation.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Dans des cas de ce genre – ou ou deux par an rien qu'en France – le corps est renvoyé à la famille. Mais ici, pas d'identité, pas de famille. Qu'allait-on donc faire de l'inconnu ?


 

Les avions qui atterrissent ou décollent de Roissy survolent une série de municipalités, dont celle de Mauregard. Et la maire de Mauregard, Marion Blancard, a estimé qu'à défaut de la vie digne qu'il venait chercher, l'inconnu soit au moins enterré dans la dignité. La municipalité a donc ménagé une place dans le cimetière, payé les frais d’inhumation, un cercueil et une belle gerbe de fleurs. Le mardi 30 avril, la maire accompagnée de quelques employés municipaux ont assisté à une brève cérémonie.

Sur la bière, une plaque en cuivre indique : « X masculin N° 13/0824 ». Mais Marion Blancard a estimé qu'on ne pouvait pas mettre une telle inscription sur la pierre tombale. Aujourd'hui donc, on peut lire, entre la tombe d'un soldat mort « pour la France » en 1916 et un caveau de famille, ces quelques mots : « Inconnu sauf de Dieu ». J'ai beau ne pas croire en Dieu, je me dis quand même que si jamasi il existe et qu'il est capable de « reconnaître les siens », il se souviendra de Marion Blancard.

Alors oui, je sais, ce n'est qu'un petit geste qui ne remplacera pas une politique d'asile généreuse, ouverte, mais j'ai aussitôt pensé à la fable du colibri (1) :

« Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit: 'Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !' Et le colibri lui répondit : 'Je le sais, mais je fais ma part' ».

 

(1) Dont s'est inspiré Pierre Rahbi pour son livre La part du colibri, Editions Aube (poche)

 

 


Mis à jour (Lundi, 06 Mai 2013 13:38)