Les Chatouilles ou la Danse de la Colère (Ceci n'est pas une critique culturelle)

 La critique culturelle, ce n'est pas ma compétence. Je ne m'avancerai pas à prétendre qu'un spectacle est « génial » ou « nul » ou les innombrables nuances entre les deux. Je peux juste, d'un point de vue complètement subjectif, dire et écrire ce qui m'a bouleversée, fait mal et pourtant du bien, ce qui a renforcé ma conviction qu'en ces temps troublés, que ce soit au plan personnel ou mondial, la culture est l'un de nos biens les plus précieux et qu'il serait plus urgent que jamais de la mettre à la portée de toutes et de tous. Alors même qu'elle ne cesse d'être rabotée, comme si c'était un luxe, une simple distraction.

Ce 28 octobre donc, j'ai assisté à une représentation au Théâtre de Poche : « Les Chatouilles », de et avec Andréa Bescond, mise en scène par Eric Métayer. Un titre qui sonne volontairement enfantin, mais le spectacle a un sous-titre : « La danse de la colère ». Comme vous irez forcément le voir, je ne vous en dirai qu'un minimum, ce qui figure sur le site : « Odette a 8 ans. Elle aime rire et dessiner. Elle fait confiance aux adultes. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents ? Pourquoi refuserait-elle de jouer aux « chatouilles » ? Odette ne parle pas, elle ne croit pas qu’elle pourrait être crue. Pour qu’on la comprenne, elle danse. Face aux autres enfants, à ses parents, aux amis, aux flics, face à la justice, elle danse… Le désir de vivre et de résilience entraînera Odette dans un jusqu’au-boutisme outrancier, rock n’ roll et souvent drôle. »

C'est déjà intrigant, mais c'est encore bien mieux. Parce que justement, on passe sans cesse du rire aux larmes, de la détresse à la colère, de l'accablement à la révolte. Voyez cette scène : après cinq ans de Conservatoire, Odette a trouvé un boulot d'animation de Noël dans un supermarché (« Un supermarché ! Même pas un hyper ! ») Tandis qu'elle répète une chorégraphie ridicule, affublée d'oreilles de lapin – rires dans la salle – elle raconte ce qu'un ami de la famille lui a fait subir – et les rires s'étranglent. Ou encore ce moment où son prof de danse veut absolument interpréter la souffrance qu'elle exprime, là devant nous, selon un schéma qui ne correspond absolument pas à sa réalité à elle. C'est affreusement drôle et grotesquement tragique.

Andréa Bescond est seule en scène, avec une chaise pour unique élément de décor. Pourtant on passera de sa chambre à une salle de tribunal, une scène de music-hall, un commissariat, un cabinet de psy, on croisera Odette à 8 ans, à 12 ans, à 30 ans, la mère d'Odette (terrible personnage), son père, ses profs de danse, un pote encore plus paumé qu'elle, un flic lourdaud, un gamin qui ne veut surtout pas passer pour une fille, des filles qui acceptent n'importe quoi pour obtenir un rôle...et même son abuseur lui-même, écoeurant de mauvaise foi et de bonne conscience. Et chacun, chacune, a une voix, un accent, une posture corporelle, qu'on reconnaît immédiatement. Comme performance, c'est époustouflant. Ce n'est pas seulement criant de vérité, c'est hurlant de vérité.

Et c'est bien plus que cela encore, parce qu'on partage forcément quelque chose de ce vécu, que ce soient des abus dans l'enfance, l'incompréhension des adultes, une incapacité des parents à vous protéger, une douleur qu'on ravale jusqu'à l'explosion, et cette force de vivre qui vous pousse tout de même vers l'avant. Pour moi qui ai souvent des problèmes avec les « fins »,j'ai trouvé la dernière scène magnifique. Elle serre la gorge, elle déchire et elle console en même temps. A la sortie, beaucoup de gens avaient les yeux rouges. Après une standing ovation largement méritée.

Voilà, si vous n'avez toujours pas envie de vous précipiter, c'est que ma compétence de critique est vraiment très limitée.

Le spectacle est complet à Bruxelles, mais il sera repris au Petit Théâtre Montparnasse à Paris, à partir du 14 janvier 2016.

Mis à jour (Jeudi, 29 Octobre 2015 16:07)